L’exposition Mannequin d’artiste, mannequin fétiche, au Musée Bourdelle, retrace l’histoire un peu étrange, parfois paradoxale, de ces pantins tantôt indispensables à l’inspiration, tantôt perçus comme nuisibles à l’originalité. Et finalement élevés au rang d’objet de fantasmes. Attention, le sujet est pointu.
Il faut l’admettre, nous savons peu de chose sur les mannequins d’artistes. Muets, manipulables à volonté, ces poupées humanoïdes deviennent au fil des siècles plus qu’un simple support de création. A partir du XVème siècle, dans un atelier, le mannequin est un outil comme un autre. Il apparaît même sur certaines toiles, comme un détail, mais qui fait toute la différence. Il en paiera d’ailleurs le prix. Le milieu artistique (critiques, théoriciens, amateurs d’art avertis) reprochera aux peintres, au milieu du XVIIIème siècle, le côté artificiel des peintures inspirées de ces mannequins. Un faux procès, puisqu’il s’agissait surtout de remettre en cause le classicisme de l’époque et de laisser émerger, au XIXème siècle, le réalisme.
Du spirituel au fantasme
Véritable œuvre d’art ou simple forme en toile, le mannequin a subi une évolution qui l’amènera à être détourné de son utilisation première. Là, commence le fétichisme. L’exposition ne le montre pas, le suggère à peine. Chaque visiteur y pensera sûrement. Les mannequins d’artistes sont à l’origine des premiers objets sexuels à forme humaine. Comprenez, des poupées gonflables. On vous l’accorde, c’est parfois un peu tiré par les cheveux et le propos pourrait plonger facilement le profane dans une grande perplexité. Le concept met même parfois un peu mal à l’aise, comme avec ces poupées pour enfants datant des dernières décennies du XIXème siècle. Nous voilà au cœur du fantasme de la création d’un être de substitution.
Le visiteur évolue de façon chronologique à travers cette histoire tumultueuse, joliment racontée en neuf espaces distincts. Croquis de fabrication, tableaux, photos, mannequins élaborés ou sommaires, la mise en scène veut plonger le visiteur dans l’atelier d’artiste. L’ambiance tamisée, presque monacale, et l’organisation spatiale rendent la visite un peu trop solennelle. On aurait eu envie de voir les mannequins dans leur habitat naturel, dans un atelier jonché d’études, de taches de peinture au sol et de toiles inachevées.
Cette disposition ne gâche toutefois pas le travail de documentation remarquable. Arrêtez-vous devant les trois toiles délicates du Britannique Alan Beeton, les photos d’Herbert List ou encore le mur dédié à Chirico. Et surtout devant La soffita des torero de Pietro Annigoni. La nature morte du peintre italien est criante de poésie.
Exposition Mannequin d’artiste, Mannequin fétiche
au Musée Bourdelle
18, rue Antoine Bourdelle
75015 PARIS
(métro : Montparnasse – Bienvenüe et Falguière)
Jusqu’au 12 juillet 2015
du mardi au dimanche de 10h à 18h