Louis-Jean Cormier, c’est la VOIX de Karkwa, un des groupes les plus réputés au Québec.
5 ans après notre première rencontre avec le band, le chanteur revient en solo avec son deuxième album solo : Les grandes artères.
Interview en douceur avec cet auteur compositeur qui a été juré dans l’émission La voix, le The Voice québécois.
Louis-jean Cormier : un cousin d’outre-Atlantique qui affiche un big smile de présenter son album en France, entre confidences et excitation du challenge.
En concert dans le cadre du Festival Aurores Montréal, le 5 décembre au Divan du Monde.
SELFIE INTERVIEW
USofParis : Arriver en solo avec son album sur le sol français, ce n’est pas un peu déstabilisant ?
Louis-Jean Cormier : C’est une bonne question.
Je répondrai : non, pas du tout, c’est pas intimidant.
Premièrement, avec les cinq dernières années où j’ai commencé à œuvrer en solo, j’ai réussi à m’affranchir du reste du groupe, à établir une nouvelle carrière en parallèle. Une carrière qui a pris son envol et qui a même finalement gonflée et explosée.
Je dirais même qu’il y a une part d ‘excitation. Parce que j’ai, avec le temps, réfléchi et gagné en maturité puis en expérience.
Je repars vraiment de zéro mais avec un petit rictus en coin, avec l’idée que je pourrais peut-être être un peu plus fin stratège dans la commercialisation.
Il y a une partie d’excitation qui me vient de la différence entre la popularité et la notoriété que j’ai chez moi vs le « Ground Zero » d’ici.
Ça rend modeste ?
Ben oui mais je ne pense pas que j’ai manqué de modestie. Il y a l’orgueil qui se retrouve un peu…
Mais il faut tout prouver à nouveau… Il faut vraiment tisser des liens avec les journalistes, avec le public.
Oui, mais je suis content car l’expérience que j’ai eu chez moi je suis en train de la mettre en œuvre ici, à bon escient, j’essaie du moins. On commence, on est à la genèse de tout ça.
Mais tu es prêt à aller jusqu’où pour vendre ton album, pour te faire connaître en France ?
Je suis prêt à aller très loin.
J’aimerais beaucoup tenter le coup de la visibilité. Parce que justement j’ai des jeunes enfants à la maison, j’ai une vie chez moi qui est difficile à laisser de côté. Je ne pourrais pas venir vivre ici pendant longtemps, ce que je devrais probablement faire si je veux vraiment que ça marche. Parce que je sais que je détiens quelque chose qui peut rayonner de lui-même, j’essaye de le dire en toute humilité.
Donc peut-être m’infiltrer à la télévision, m’infiltrer, justement, en premières parties d’artistes que j’aime et qui sont connus. Et travailler aussi à créer un buzz internet à distance et ici aussi.
Qu’est-ce que le public français ne sait pas de toi ?
Euh … tout ! (rires)
Le public français ne connaît rien de moi.
Mais ce qu’il devrait savoir c’est que depuis longtemps j’ai un milieu d’expression de chansons francophones.
J’ai vraiment besoin de chanter en français, c’est la langue dans laquelle je rêve la nuit. Mais peut-être à cause d’un contexte géographique, depuis toujours, et avec Karkwa et avec mon projet solo, on arrive à faire une musique qui est très dense, costaude, atmosphérique qui est souvent plus dans un bagage anglo-saxon. Et puis l’accent québécois, la poésie, la façon dont on écrit, s’insère dans cette musique là d’une façon relativement cohérente. C’est les commentaires que je reçois de la plupart de mes amis français : auteurs-compositeurs, journalistes et autres. C’est à quel point ce mariage d’expressions francophones et de musique est vraiment intéressant, loin de la chanson française.
Il y a des tournures, des expressions typiques du Québec dans cet album. On n’a pas forcément l’habitude de les entendre donc elles retiennent notre attention.
Oui il y a une petite touche d’exotisme.
Et l’accent joue aussi. Beaucoup d’artistes québécois qui viennent en France ne le gardent pas quand ils chantent.
Tu as mis le doigt dessus. Il y a beaucoup, peut-être trop, de chanteurs, chanteuses à grande voix (on ne commencera pas à les nommer) qui ont un français très international et qui n’ont peut-être pas cette petite épice de plus.
Ce qui est drôle c’est qu’avec Karkwa c’était le même commentaire et les gens venaient nous dire : « C’est fou sur le disque vous avez un accent, puis en spectacle vous n’avez pas d’accent ». Probablement que quand on est sur place, comme là, quand je vous parle, j’ai déjà un accent qui est différent, je m’exprime d’une manière différente. En chanson aussi.
Lors de ton interview précédente au téléphone, j’ai noté une phrase : « on fait aussi des chansons pour se vider le cœur ». C’est poétique !
Oui, parfois on a des élans de poésie. 🙂
Oui mais dans le sens : un cœur qui souffre, un cœur qui aime ?
Un cœur qui a besoin de s’exprimer. Un cœur qui refoule peut-être, qui a trop accumulé de choses et qui les ressort d’un coup sec.
Il y a des chansons qui vont prendre des mois, voire des années à être écrites et puis il y en a d’autres qui vont sortir en 10-15 minutes.
Justement dans cet album, quelle est la chanson fulgurante ?
Un des textes fulgurants, c’est Faire semblant.
Mais la chanson fulgurante, officiellement, c’est la première : Si tu reviens. Elle est née en une demi-heure : paroles et musique. Ça a été assez foudroyant et c’est une chanson toute simple. C’est une chanson bricolée et en même temps c’est une chanson sur le bricolage, sur l’amour bricolé.
C’est ce sentiment intérieur que c’est quelqu’un d’autre qui l’a écrite. Ça arrive généralement une ou deux fois par disque.
En parlant de « vider le cœur », les chansons sont assez nostalgiques. Ce sont des chansons de rupture ou de l’enfance qui s’éloigne ?
Les deux. J’aime beaucoup le concept de la mélancolie dans la musique. Victor Hugo disait « La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste », de prendre plaisir à faire quelque chose de triste. Il y a ça dans ce disque-là.
C’est sûr que je vivais des choses à la maison, dans ma vie personnelle, je voyais aussi beaucoup d’amis vivre des choses aussi. Donc j’ai été inspiré par ce truc générationnel qui est arrivé en 2015 pour les gens de la mi-trentaine où tous les couples se sont séparés. Ça s’est fait chez nous, je ne sais pas chez vous. 🙂
Mais Marie-Pierre Arthur a fait un disque de rupture, Ariane Moffatt aussi. Cette année-là, tout le monde a fait un disque de rupture.
Donc c’est la mélancolie mêlée au questionnement qui fait que ça devient, d’après ce que j’en reçois comme commentaire, presque thérapeutique. Pour les gens qui vivent la rupture, pour les gens qui se questionnent sur la rupture. J’ai reçu une tonne de commentaires au Québec disant « Merci, ton disque m’a fait du bien parce qu’il m’aide à broyer mon noir. »
Et est-ce qu’il y en a un qui t’a particulièrement touché ?
Je pense que le commentaire qui me touche le plus en ce moment au Québec c’est les jeunes qui viennent me voir. Contrairement à ce que je pensais, mes salles se sont remplies de jeunes, adolescents, début de l’âge adulte, qui viennent me dire « Merci, c’est grâce à toi si maintenant j’écoute de la musique francophone ». Et ça c’est le plus beau commentaire parce que pour nous chanteurs français dans un milieu où on est entouré d’anglophones. Chanteur français c’est presque un geste politique.
Ça vient de jeunes québécois ou des Canadiens anglophones ?
J’ai des Anglos qui me disent « J’aime pas la musique francophone mais avec toi, je l’aime. Je ne comprends pas pourquoi.»
C’est un bagage musical aussi. Avec Karkwa, on nous dit souvent que notre musique était aussi divertissante que les mots et que les anglophones pouvant avoir beaucoup de plaisir dans un nos concerts même s’ils ne comprenaient fuck rien.
Il y a une construction particulière dans la composition de tes chansons : c’est les ruptures de rythme. C’est quelque chose que j’adore. On passe d’une partie guitare seule à un truc plus énergique, pour revenir à la guitare seule.
En fait, c’est une identité musicale qu’on m’a attribué avec le temps. Avec Karkwa. c’est même devenu notre marque de commerce. Pour mon premier album solo, les gens disaient que j’étais un compositeur escarpé. Je trouve ça bien, que finalement on aime les chutes libres, les gaps, les cliff (les trous, les falaises NDLR).
J’écoute beaucoup de musique. Il y a un Américain qui s’appelle Sofiane Stevens qui fait de la chanson folk, et ça éclate. Franck Zappa, je l’ai écouté beaucoup quand j’étais à l’école. On ne peut pas être pas plus excentrique, éclectique et escarpé mais ça me plait.
Et il y a mon bagage de musique classique qui me nourrit beaucoup. Je trouve qu’avec la musique symphonique ça se passe dans l’absence de carrure, de compartiment, contrairement à la chanson pop. La musique classique c’est justement dans le mouvement que c’est bon : accéléré, ralenti, coupé, forté. La nuance, oui.
On est plusieurs à vouloir faire un produit qui s’inspire de ça, dont mon ami Patrick Watson, qui fait de la musique anglophone. Il est très Debussy, Jeff Buckley. C’est ça la musique finalement.
Le regard français sur ton disque est-il différent de celui québécois ?
Je recueille comme commentaire que l’on entre dans Les Grandes Artères comme on entre dans un livre. Il y a une sorte de storytelling. C’est super important quand je réalise un disque pour moi, ou pour d’autres, que l’ordre des chansons soit cohérent. S’il y a une répétition dans le texte, c’est dans un but d’homogénéiser les chansons, à l’image d’un long métrage. Parce que si l’on choisit la lecture aléatoire sur un lecteur, c’est comme si l’on voyait un film dans le désordre. Ça peut donner des choses intéressantes comme Tarantino, mais ça peut faire un gros fouillis aussi.
Tu as besoin de déconnecter quand tu es en création, d’arrêter d’être en connexion avec le monde, avec les réseaux sociaux ?
Faire pause, faire silence, je ne sais pas. C’est plutôt être capable de déconnecter à l’intérieur. J’ai une fascination pour ma facilité à tomber dans la lune. Souvent il faut que je sois dans un café ou dans un endroit où ça bouge beaucoup. Je me rappelle l’école. Ce que j’aimais le plus faire, c’était de ne pas écouter le professeur. Je suis même retourné en étudiant libre à l’université, à un moment donné, pour écrire des chansons parce que j’aimais ne pas écouter le prof.
Dernièrement, j’ai fait une retraire d’écriture dans un chalet pour Les grandes artères. C’est la première fois de ma vie que je faisais ça. Et c’était bien. Peut-être que le silence m’a amené à écrire beaucoup de textes introspectifs. Il y a forcément un peu de thérapeutique là-dedans, pour moi.
Pour finir, une adresse, un bon spot à Montréal que les touristes français ne peuvent pas connaître ?
Mon bar secret mais qui est ouvert à tous, c’est un bar japonais qui fait des cocktails de façon incroyable. Le bar fait un grand B parce que le propriétaire a aussi un restaurant qui s’appelle le Big In Japan. Le Big In Japan a un bar caché qui est juste à côté du Patati Patata au coin du boulevard St Laurent et de la rue Rachel. Il y a une porte avec un sigle japonais. Et quand on rentre on est dans un monde étrange. C’est vraiment fabuleux !
Interview by Alexandre et Emmanuel
Louis-Jean Cormier
nouvel album : Les Grandes Artères
(Yotanka)