A quelques jours de la première et avant de déménager le plateau de répétitions et de partir s’installer au Théâtre de la Cité Internationale pour les filages, rencontre avec deux révélations. L’une a pris la pleine lumière avec le film Les Yeux Jaunes des Crocodiles, l’autre a été une revenante effrayée et égarée dans la saison 2 de la série événement de Canal +, cette rentrée. Les deux montent sur scène pour la première fois dans De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites, première mise en scène signée Isabelle Carré, au Théâtre de l’Atelier.
Dans les coulisses du théâtre de la Place Dullin, Alice Isaaz et Armande Boulanger ont partagé avec nous les précieux moments de cette expérience exceptionnelle. Complices, rieuses et d’une brillante maturité sur leur pratique théâtrale, nous avons pris une réelle vraie leçon de comédie.
INTERVIEW
Qu’est-ce qui vous a touché dans cette histoire ?
Armande Boulanger : Tout ! 🙂 J’ai lu le texte d’un coup et j’ai adoré. J’ai été très surprise par la fin de l’histoire, par l’évolution des personnes, comment ils se désintègrent un peu.
Alice Isaaz : Ce qui m’a plu, c’est le rapport de cette mère avec ses deux filles. A savoir, on peut imaginer en voyant une famille, ceux qui peuvent s’en sortir et les autres qui ne s’en sortiront pas. Et parfois ça peut être l’inverse. Comment on fait pour vivre malgré l’oppression d’un parent ? Comment ne pas être imprégné d’une mauvaise influence ?
Les rapports sont comme inversés, on a l’impression que ça tourne. C’est Béatrice qui est la mère, et à certains moments c’est Mathilde, l’une de ses deux filles qui prend ce rôle-là. Et après Ruth, la deuxième. Chacune leur tour devienne l’enfant. Même entre les soeurs, on se demande qui est la plus vieille et qui est la plus jeune. Je me souviens – après avoir lu le synopsis (Mathilda, la plus jeune, Ruth, la plus âgée) et ensuite la pièce avec l’idée – du moment où je me suis dit : “mais c’est Ruth la plus jeune !”
Et c’est ce déséquilibre qui me plaît.
Comment décririez-vous l’écriture?
Armande : Un mélange de poésie et de réalisme très simple. Des petites phrases simples mais justes. Mais l’ensemble est très naturel.
C’est un peu comme une pièce de Joël Pommerat : il y a une langue très théâtrale et en même temps qui est très facile à dire, pour nous qui venons du cinéma.
Isabelle Carré a-t-elle eu besoin de défendre ce projet pour vous convaincre ?
Alice : Ca s’est fait naturellement. J’ai reçu un coup de fil de Thierry Chèze qui m’annonce qu’Isabelle cherche de jeunes comédiennes. Il lui a parlé de moi et elle lui a dit : “je n’ose pas la déranger, j’ai peur qu’elle ait trop de tournages.” En fait, Isabelle est comme ça : timide et elle n’ose pas. Et elle n’a pas osé me le demander directement. C’était génial et touchant ! 🙂
J’adore le théâtre, j’ai fait le cours Florent en classe libre. Et j’ai très vite bifurquée vers le cinéma. J’ai eu des auditions pour le théâtre mais ça demande un temps d’engagement énorme quand on tourne.
Alors apprendre que c’était sur une durée courte, que c’était Isabelle Carré, sa première mise en scène et au Théâtre de l’Atelier, je savais que je le ferai bien avant de lire le texte. C’étaient les meilleures conditions pour débuter au théâtre.
Armande : J’ai reçu le texte par mail pour passer des essais avec une directrice de casting. C’est le texte qui a primé !
Le théâtre ce sont des contraintes, c’est facile à gérer ?
Alice : C’est deux manières de travailler vraiment différentes, le cinéma et le théâtre. Je n’avais pas l’habitude de répéter tous les jours.
Pour la pièce, j’ai débuté les répétitions le 28 septembre. C’est long, surtout quand c’est samedi et dimanche compris. Depuis peu, j’ai réussi à négocier mes dimanches ! J’avais un peu la tête sous l’eau 🙂
Et ça fait du bien aussi de rebosser sur un texte en profondeur comme je le faisais en cours. Lors des répétitions tu as l’impression de tout piger et le lendemain tu te dis l’inverse : “je suis complètement à l’ouest”. C’est ça que j’aime. Et ça donne envie de travailler ses rôles autrement au cinéma. On se rend compte de l’importance de la préparation en amont du tournage.
Mais il faut être aussi très organisée !
Armande : Je trouve génial d’essayer différentes choses comme venir avec des habits différents. Ça change le rapport à la scène. De se dire : “aujourd’hui je vais mettre une jupe pour voir comment je me déplace.” On ne peut pas faire des expériences pareilles au cinéma.
Et tu peux proposer des choses. On n’est pas juste des marionnettes. On est mêlé à la création.
Isabelle Carré a-t-elle une manière particulière de travailler avec vous ?
Alice : C’est sa première mise en scène. Donc on a toutes eu l’impression de débuter ensemble, en nous retrouvant pour les répétitions. On n’a pas l’impression d’être novices.
Isabelle était aussi fébrile que nous malgré son expérience du théâtre. Et du coup, ça nous a mis vraiment mise à l’aise.
Quand elle nous a expliqué comment elle allait aborder notre travail, j’ai été rassurée. On s’est rendu compte qu’elle allait nous laisser énormément de liberté. Elle a eu cette chance de travailler avec de nombreux metteurs en scène. Et elle a fait un tri en retenant ce qui lui avait plu.
Elle se remet en question aussi, même sur un élément de décor qui semblait pourtant acquis.
Est-ce qu’elle cite des noms de metteurs en scène qui ont compté pour elle ?
Armande : Elle a beaucoup d’admiration pour Ostermeier mais, ça n’a rien à voir, elle ne nous dit pas : “on va faire comme lui”.
Alice : Elle aime beaucoup les exercices de préparations d’Irina Brook ! 🙂
Armande : Je ne les ai pas faits. Pourtant je les ai réclamés ! Elle m’a dit que vous aviez dormi.
Alice : Elle nous a proposé des exercices de décontractions. Elle parlait un peu comme une prof de yoga : “le corps est un sac de sable”. A la fin, j’étais toute endormie.
Des phrases, un conseil qui vous ont marquées ?
Armande : Beaucoup ! Une chose qu’elle m’a dite à la première répét’ : le personnage fonctionne par contraste. C’est en marquant, en poussant ses moments de joie, ses moments de détresse qu’on va le rendre intéressant et vivant. Et que si on le joue sans nuance, ça n’a pas d’intérêt.
Elle nous amène à jouer différentes émotions mais de façon assez intense pour qu’on ait un personnage qui vit comme nous, comme vous.
Alice : La phrase qu’elle répète tout le temps : “surtout pas d’aqua-planing !”
C’est quand elle nous dit les points positifs, et ceux à améliorer et que le lendemain, on essaie de tout refaire en calquant sur ce qu’elle nous a dit, qu’on essaie de replaquer.
Elle nous a dit aussi de ne rien forcer et de venir et jouer avec l’humour du jour. “Si vous venez à une représentation alors que vous êtes un peu triste, voyez ce que ça donne”. Peut-être qu’un jour Ruth ou Mathilda seront de mauvaise humeur ou triste…
“Rien de pire qu’un acteur qui se dit : je suis là et je dois aller à la 15e marche.” Et ça se voit quand les gens s’acharnent à y arriver. Alors qu’avec notre humour du jour, on peut y arriver petit à petit à cette 15e marche.
Armande : Elle m’a dit de trouver des tensions. Parce que c’est différent du cinéma où les gros plans permettent facilement d’exprimer des choses avec son regard, son visage. Alors qu’au théâtre, c’est différent. Et je n’ai jamais eu l’habitude de pousser les réactions. Trouver une tension c’est donc, par exemple, se lever de son siège quand le personnage trouve une solution à un problème, des petits détails qui ne sont peut-être pas naturels dans la vie mais qui sont nécessaires pour le spectateur du dernier rang.
Le Théâtre de l’Atelier a-t-il une atmosphère qui vous stimule ou enrichit cette première expérience de la scène ?
Alice : La première fois qu’Isabelle m’a emmenée sur le plateau, j’ai été bluffée. La salle est magnifique. Et c’est une vraie question d’atmosphère.
Manèle Labidi-Labbé – qui a fait l’adaptation de la pièce – nous a confié, lors de notre petit rituel du matin autour du thé et du café en coulisses : “je sens que l’odeur de ce théâtre me restera”. Et ces mots ont raisonné en moi, comme quand on retrouve des odeurs de notre enfance, chez notre grand-mère…
Armande : Le plateau est hyper accueillant avec cette rondeur. On se sent encerclé, positivement. On a envie d’y jouer. La lumière est toute douce aussi dans les lustres.
Alice : On se croirait dans un conte.
La tension commence à monter à l’idée de rencontrer le public ?
Alice : Jusqu’à présent on répétait entre nous quatre. Hier, nous avons eu notre premier filage devant 7 personnes.
Armande : Notre premier public ! 🙂
Alice : Et je me souviens de la scène où l’on est couché. On est censé dormir. Et j’avais le ventre qui gargouillait. Et j’ai dit à Armande : “tu sais ce que c’est ça ?” Elle répond non. Et je lui dis : “C’est le stress !”
Et elle me fait : “j’ose pas imaginer quand il y aura 600 personnes” 🙂
Quand on répète on a les 600 sièges, mais vides. Et après on se rend qu’il y a aura plein de petites têtes.
A partir de vendredi, on va répéter à la Cité Internationale pour être dans le décor, pendant 10 jours. On pourra faire plein de filages. Et ça nous préparera. La première c’est dans 15 jours.
Armande : Parce qu’actuellement, c’est le système débrouille. Isabelle fait les bruitages… de voiture, de pluie…
Alice : On ressent ce besoin de tout caler pour être prêtes.
Armande : On a besoin de se reposer sur un vrai décor et nos costumes.
Comment ça se passe le principe de l’alternance de comédiennes ? C’est Lily le matin et Armande l’après-midi ?
Armande : Tout à fait ! On ne se voit pas jouer avec Lily. C’est chacune notre tour.
Alice : Isabelle ne voulait pas qu’elles se voient pour ne pas que Lily et Armande s’influencent. Qu’elles se comparent entre elles. Pour Isabelle et moi, c’est des heures de répétitions intenses.
Et c’est vrai que parfois ce n’est pas évident au niveau des placements. Par exemple, si on cale quelque chose avec Armande, on ne peut pas dire à Lily : “on a vu ça ce matin avec Armande”. Pour laisser la totale liberté à chacune.
Ça demande double effort de concentration. Sachant que le rythme de jeu de mes deux partenaires est différent. Chacune propose le sien. Mais c’est aussi très stimulant pour Isabelle et moi.
Armande, vous n’avez pas l’impression de rater des choses en étant en répétition à “mi-temps” ?
Armande : Pas vraiment. Quand je ne répète pas, j’ai mon petit carnet où je note plein de choses. Je suis un peu maniaque des petits carnets dont un Moleskine rose qui commence à être bien chargé. Du coup, je cogite. Et puis il faut être très souple pour se rappeler de ce que l’on a fait la fois précédente. Ça me permet d’être très concentrée.
Alice : Parfois, j’aimerais bien aussi laisser reposer.
Armande : C’est vrai que c’est agréable. Comme voir un film quand je ne suis pas en répet’. Et j’arrive à capter et prendre des détails pour la pièce. Comme hier, j’ai vu Trainspotting, ou encore quelqu’un dans le métro. On a l’impression que tout est lié à la pièce, quand on est concentré sur cette histoire. Par exemple, je vois des marguerites partout ! 🙂
Alice : Avant la pièce, j’entendais parfois mes copines qui me parlaient de leur relation avec leurs parents. C’était quelque chose d’abstrait pour moi. Et je ne m’attardais. Mais maintenant que je vis ça avec Isabelle dans le rôle de Béatrice, et que ces copines me reparlent de leur mère, je leur dis : “je comprends tellement ce que tu vis”. Ça fait forcément écho en moi !
De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites
de Paul Zindel
Adaptation : Manèle Labidi
Mise en scène : Isabelle Carré
Avec : Isabelle Carré, Alice Isaaz, Lily Taïeb et Armande Boulanger en alternance
PROLONGATIONS jusqu’au 6 février 2016
au Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin
75018 PARIS
du mardi au samedi à 19h
matinée le samedi à 17h
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