C’est après sa propre expérience à Auschwitz-Birkenau, que Charlotte Delbo, activiste politique arrêtée en mars 1942 puis déportée le 24 Janvier 1943 n’a cessé d’écrire. Articles, nouvelles, pièces de théâtre, tout le monde devait savoir. Mesure de nos Jours, interprété jusqu’au 22 mars au Théâtre de l’Épée de Bois, à la Cartoucherie, est de ces textes forts qui rendent le devoir de mémoire si important.
Le sujet est sensible, même 70 ans après ! Mais il faut s’accrocher, c’est important. Comment expliquer l’inexplicable ? Ce qu’on veut oublier, ce qui est à jamais gravé dans les mémoires ? La faim, le froid, la peur, la fièvre, la douleur, la fatigue. Les images atroces qu’offrent les corps décharnés au et les cadavres toujours plus nombreux. Six femmes, toutes différentes mais ne formant qu’un seul corps. Leur point commun : ces très longs mois au sein du camp d’Auschwitz-Birkenau, jusqu’à la libération. C’est dans une très belle mise en scène de Claude-Alice Peyrottes que Charlotte Delbo raconte ici comment ses compagnes de voyages, les 48 qui sont revenues avec elle, sur les 230 qui avaient été internées ensemble, ont petit à petit tenté de se réapproprier la vie qu’on leur avait volée. L’entraide (et les différentes combines, toutes aussi dangereuses les unes que les autres) les ont aidées à tenir, évidemment. Mais également un détachement inhumain face l’horreur. Cette capacité à se dédoubler, comme absente de leur propre sort. Elles ne comprennent ce qui se passe qu’à leur délivrance.
Dans un décor minimaliste (un petit bureau d’écolier, cinq chaises de style 1900 et art déco, un banc, un porte manteau), éclairées d’une douce lumière jaune, elles renaissent, chacune à leur manière. Restent à vivre avec les souvenirs des camarades mortes au camp, l’incompréhension de leur famille restée en France et de leurs voisins. Ou tout simplement avec les autres déportés, qui ont parfois changé depuis leur retour.
Faire du beau avec l’horreur
Les mots sont justes, simples et percutants. Les récits sont poignants et criants de réalisme. Sophie Amaury, Sophie Caritté, Marie-Hélène Garnier, Claude-Alice Peyrottes, Maryse Ravéra, Maud Rayer, il faut toutes les citer car elles sont incroyables ! Leur jeu nous transporte littéralement. Le public écoute sagement tels des enfants captivés par leur grand-mère leur narrant une histoire un soir d’hiver.
Évidemment, nous savons qu’il est impossible de nous figurer totalement l’horreur de ce que fut cette période. Et nous en sommes heureux ! Lorsque certaines racontent leur voyage jusqu’au camp, nous roulons avec elles. Les wagons à bestiaux, la promiscuité, la peur de l’inconnu, la faim. C’est beau et triste à la fois.
N’allez toutefois pas croire que seule l’horreur survit. Dans cet enfer, les amitiés se forment et certaines s’accrochent à la vie. Charlotte Delbo glisse quelques traits d’humour et de dérision. On se surprend même à sourire. Ou comment l’espoir fleurit dans le terreau de la barbarie.
by Joël Clergiot
Mesure de nos Jours
pièce de Charlotte Delbo
Mise en scène : Claude-Alice Peyrottes
avec : Sophie Amaury, Sophie Caritté, Marie-Hélène Garnier,
Maryse Ravéra, Maud Rayer, Claude-Alice Peyrottes
Théâtre de l’Épée de Bois
La Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Jeudi et vendredi : 20h30
Samedi : 16h et 20h30
Dimanche : 16h
jusqu’au 22 mars 2015
2 réflexions sur « Mesure de nos Jours au Théâtre de l’Épée de Bois, rend hommage aux survivantes »