Impossible de résister à l’appel des Grandes eaux nocturnes du château de Versailles. Car reprendre une vie culturelle, c’est une vraie bouffée d’air. Surtout quand cette visite est couplée avec la Sérénade Royale : un spectacle en mode musique baroque qui traverse la demeure de Louis XIV. Et ce soir là, nombreux étaient les visiteurs.
Plus qu’un avis, c’est un article à fleur de peau…
La Sérénade Royale : Versailles en mode baroque
Dans un château de Versailles vidé de ses visiteurs, nous sommes donc invités à une déambulation artistique qui va du chant à la danse.
Sous l’égide de Lully, le compositeur de la cour de Louis XIV, le public prend tout d’abord place dans le Salon d’Hercule.
Alors subitement, la voix de la chanteuse remplit la salle pour un moment suspendu.
C’est toujours la même émotion que lors de notre dernière venue pour le parcours du Roi.
Après cet instant particulier, la Sérénade se poursuit dans la Galerie des glaces.
Dans cet écrin unique et féérique, la Compagnie de Danse l’Eventail propose un intermède dansé autour du thème des peintres du Roi.
Même s’il est plus simple au niveau mise en scène que lors des autres éditions, ces chorégraphies proposent une poésie unique. La musique baroque développant une mélancolie particulière contrastée par des pas de danses joyeux.
Le parcours se termine dans la Galerie des batailles pour un duel au fleuret. Prétexte pour un échange politique et féministe.
Les grandes eaux nocturnes : un enchantement
Le soleil termine sa course journalière quand nous arrivons dans les jardins de Versailles.
Autour du bassin de Latone, des machines remplissent l’air de bulles pour le plus grand plaisir des enfants venus avec leur parents.
Au loin, les flammes du Groupe F jaillissent sur le Tapis vert : un prélude à notre fin de balade nocturne.
Les différents bassins et bosquets chantent aux doux sons des fontaines qui projettent leurs eaux magnifiées par la musique et les lumières installées pour cet évènement.
Venu avec une amie qui ne connaissait pas Versailles, nous goûtons à cette douce soirée. Voir tous ces visiteurs déambuler dans les allées donne un charme particulier à cette visite. Un retour à la vie, au plaisir simple, à la beauté, voire à la futilité.
Les grandes eaux nocturnes, c’est un moment particulier, un instant dans lequel l’esprit s’abandonne à un spectacle créé il y a plus de 300 ans, et enjolivé par les techniques modernes.
Le clou de cette déambulation sera le spectacle pyrotechnique proposé par le Groupe F.
À 22h50, le jardin se met à briller sous les feux d’artifice. La musique de Lully est toujours là.
Durant ces quinze minutes où s’embrasse le ciel, on se sent encore plus replongé dans la cour du Roi Soleil.
Comme un instant d’éternité, une joie retrouvée du spectacle et de la communion : revoir les gens heureux et partager un moment exceptionnel.
La Sérénade Royale & Les Grandes Eaux Nocturnes
Tous les samedis jusqu’au 19 septembre 2020
La sérénade royale
à 18h30, 18h50, 19h10, 19h30 et 19h50
Les grandes eaux nocturnes
À partir de 20h30
Possibilité de billet couplé pour la soirée
Port du masque obligatoire dans le château
Port du masque recommandé dans les jardins
Avec son titre de spectacle à faire mourir un twittos : Le récit poétique mais pas chiant d’un amoureux en voyage, nous avions très envie de découvrir le spectacle de Marc Tourneboeuf. Assis dans la salle, jusqu’au dernier moment, nous nous sommes demandés si nous étions là plutôt pour rire ou pour un seul en scène plus dramatique ! Nous avons été vite fixés… 🙂
Au début du spectacle, Marc flashe sur une fille d’origine portugaise de passage à Paris. Après quelques jours de relation, il décide de la rejoindre à Lisbonne, le temps de vacances.
Marc Tourneboeuf : une énergie du tonnerre
Ce qui surprend dans ce one-man-show de Marc Tourneboeuf, c’est tout d’abord son énergie. Dynamique, expressif, il est également très généreux avec son public.
Ensuite, il mélange avec un talent indéniable poésie, figures de style, comique de situation et recul sur les travers quotidiens des parisiens. Le fait qu’il vienne de province n’y est pas étranger !
Bon, il faut tout de même concéder que certaines caricatures de parisiens et de portugais sont un peu éculées… Néanmoins, grâce à son ton et son interprétation, Marc arrive tout de même à nous surprendre !
Mention spéciale pour sa surprenante imitation d’un grand comédien de théâtre en plein milieu du spectacle. 😉
Même avec son humour et son recul, personne n’aurait aimé être à sa place lors de sa première rencontre avec son beau-père… Une sorte de DRH de la pire espèce.
Le récit poétique mais pas chiant d’un amoureux en voyage est un spectacle léger, drôle et enjoué, bénéficiant d’une mise en scène énergique.
Aussi, (en plus d’être mignon), c’est un excellent acteur.
Généreux, il ne boude pas son plaisir à être sur scène. Et ça, c’est vraiment un gros kiff pour nous, spectateurs ! Nous en ressortons joyeux et revigorés.
Le récit poétique mais pas chiant d’un amoureux en voyage
Ecrit et interprété par Marc Tourneboeuf
Mise en scène de Grétel Delattre
Les vendredis et samedis 21h30
Relâche le 26 septembre
Du vendredi 18 septembre 2020 au samedi 2 janvier 2021
Chaque artiste aimerait que son travail lui subsiste. Le (difficile) secret réside sans doute dans le fait de choisir un sujet intemporel, et lui permettre d’être adaptable à toutes les époques. La mégère apprivoisée en fait partie ! Venez assister à la version 2020 de l’œuvre de Shakespeare. La libre interprétation de Frédérique Lazarini est comme ses comédiens, pleine de charme, subtile, vive, terriblement actuelle et délicieusement surprenante…
En voyant la scène vide, un premier élément interpelle d’emblée. Nous y trouvons des bancs, du linge d’une autre époque et surtout, un énorme écran de cinéma. Cette adaptation semble prometteuse d’audace !
Nous sommes à Padoue, dans les années 50. Luciento et Tranio conversent avec ferveur lorsque l’écran se met en marche. Dans la plus pure tradition des films de l’époque, en noir et blanc, Baptista apparaît en présence de ses deux filles. Immédiatement, Luciento tombe amoureux de Bianca, la fille cadette, et désire la prendre en noces. Cependant, dans le respect des traditions, Baptista doit d’abord marier sa fille aînée : l’indomptable Catarina…
C’est une femme insoumise, se libérant de tout carcan et fardeau patriarcal. En effet, elle s’exprime, s’assume et le revendique haut et fort. C’est alors qu’entre en scène Pétruchio, son prétendant. Il montera tout un stratagème afin de dompter sa future épouse. S’ensuit alors une fresque, animée par la fraîcheur et le dynamisme d’une Italie enfiévrée !
Un message apprivoisé
Les comédiens portent la pièce de bout en bout avec entrain et dynamisme, sans un seul instant de répit ! Aussi inquiétante qu’éclatante, Sarah Biasani exulte aux côtés d’un bien malicieux Cédric Colas. Ils forment un duo détonnant et étrangement complice. Quant à Pierre Einaudi et Guillaume Veyre, leurs facéties et tendres désillusions convainquent. Autant que Maxime Lombard en père désespéré !
La mise en abyme de la pièce grâce aux séquences vidéos est un choix judicieux et particulièrement éclairé. Ainsi, Frédérique Lazarini insuffle au texte l’énergie et le vent de libération sociale du cinéma italien de cette époque. La misogynie se veut drôle tant elle semble déplacée et la soudaine soumission de Catarina éveille les soupçons… C’est trop facile, trop lisse, quelque chose nous échappe et nous le ressentons bien.
Au final, qui se joue des autres ? Qui s’amuse ? Il faut attendre les toutes dernières minutes afin que tout s’éclaire pour un final d’une délectable finesse…
La Mégère Apprivoisée
D’après William Shakespeare
Adapté et mise en scène par Frédérique Lazarini, assistée de Lydia Nicaud.
Avec : Sarah Biasini, Cédric Colas, Pierre Einaudi, Maxime Lombard, Guillaume Veyre et la participation de Charlotte Durand-Raucher, Didier Lesour, Hugo Petitier et Jules Dalmas.
Jusqu’au 11 mars 2020
Du mardi au vendredi à 20h30
Samedi à 17h et 20h30
Dimanche à 17h
Philippe Meyer a su traverser les époques dans le monde de la culture en étant présentateur télé et radio, journaliste, écrivain ou humoriste. Ma radio, histoire amoureuse, au Lucernaire, est un seul-en-scène où l’homme fait un retour sur sa vie en ondes afin de nous offrir les plus beaux moments, les rencontres marquantes et ce qui l’a animé pendant toutes ces années…
C’est plus de 30 ans de vie dans la maison Radio France qu’il nous relate : de ses débuts aux côtés de Jacques Chancel à son éviction en 2017. Sans oublier non plus sa carrière dans la presse écrite…
Saviez-vous qu’il doit sa vie radiophonique à un voyage au Québec ? Il est question d’un livre et d’une rencontre avec son idole Gilles Vigneault. Mais pour connaître le fin mot de l’histoire, il faudra venir voir le spectacle… 😉
Ma radio, histoire amoureuse :
C’est un peu diminué par un accident que Philippe Meyer arrive sur scène. Si le corps est limité, l’esprit est toujours aussi vif, fin et espiègle !
Ainsi, entre chansons en live ou récits, le public est plongé dans une sorte de nostalgie radiophonique des plus éclairées.
On parcourt une vie, comme tant d’autres, faîte de rencontres et d’opportunités que chacun doit saisir, comme une fable…
“On peut descendre d’un train qu’on a pris, mais on ne peut pas rattraper celui qu’on a raté”
Quel mantra de vie… 🙂
Saisir chaque occasion, pour rendre sa vie plus pétillante, plus passionnante, plus vivante !
Cette transmission en mode chronique est jubilatoire…
Un spectacle biographique
Pour les habitués de Philippe Meyer, appréciant son côté pince-sans-rire et sa vision particulière du monde, on peut tout de même regretter un manque de vitriol dans certaines anecdotes.
Et même s’il écorne certains pontes politiques ou audiovisuels, grâce à son parcours si long au sein de Radio France, on pourrait s’attendre à plus d’histoires de coulisses ou de confessions.
Ce seul-en-scène est un témoignage d’une personne représentant une époque aujourd’hui révolue. Celle où la parole était différente, un peu acerbe, qui n’avait pas peur des mots ou des conventions. Celle où l’expression était vraiment libre…
Ma radio, histoire amoureuse
De et avec : Philippe Meyer
Mise en scène : Benoit Carré
Musicien : Jean-Claude Laudat
Dimanche à 19h Jusqu’au 26 avril 2020
Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-champs
75006 Paris
Retrouver le CNAC, c’est toujours l’assurance de passer une soirée pleine de surprises. On n’est pas là pour sucer des glaces, actuellement à la Villette, ne déroge pas à la règle. Ce spectacle est fougueux, vif et plein d’entrain ! Cette 31ème promotion nous offre une représentation de haute tenue, une respiration artistique inattendue…
Tout débute par une scène de boite de nuit, avec une musique créée en live accompagnée de pas de danses fragiles et hésitants. Quelques rires s’échappent du public.
Puis arrive l’homme aux pieds de glace, fragile et rejeté.
Instant poétique.
Mais le dictateur artistique le suivant ne manque pas lui non plus, malgré sa stature, d’un certain lyrisme…
Sa présence tout au long du spectacle sert de fil conducteur.
Après cette introduction (que l’on pourra trouver un tantinet longue), la troupe du CNAC ose et propose…
Un spectacle intense
Durant les 1h40 du spectacle, on ne sait jamais d’où va venir l’inventivité et les surprises !
Les numéros solos alternent équitablement avec les moments en groupe. Et là, d’un coup, on ne sait plus trop où poser notre regard : bascule coréenne, corde lisse, cerceau aérien, mât chinois…
Les hauteurs du chapiteau ne font pas peur à ces acrobates ! Ils ont une dextérité que l’on n’avait pas vue depuis quelques promotions.
Tellement riche qu’on frissonne de leurs audaces…
DJs, musiciens, chorale ou conteurs… En plus de l’art circassien, ces artistes maitrisent tous les éléments pour faire naître un spectacle diversifié et unique.
Et attention aux oreilles ! Car parfois, un numéro pourrait piquer notre bonne conscience… Notamment celui avec des blagues toutes mignonnes qui finit dans un humour noir que le post #MeToo et le politiquement correct pourrait rendre inacceptable. Est-ce une façon de revendiquer une certaine liberté d’expression ou plutôt une façon de critiquer la société passée ?
A vous d’en juger…
L’entrain et l’exubérance de ce spectacle ont gonflé nos cœurs de paillettes. Et on n’en revient toujours pas de l’énergie que ces jeunes artistes mettent sur scène !
Ils prennent plaisir à nous donner du plaisir.
En bref, un pur bonheur…
On n’est pas là pour sucer des glaces
Jusqu’au 16 février 2020
Durée du spectacle : 1h40
Du mercredi au vendredi à 20h
Le samedi à 19h
Le dimanche à 16h
Après avoir assisté à sa conférence musicale Le chant du périnée, André Manoukian nous a accueilli dans son antre de création, en plein coeur de Paris. Quarante-cinq minutes d’interview, de partage et de découverte. Nous avons parlé jazz, composition, solfège, histoire, philo, catharsis, transmission et de Gilles Deleuze, bien évidemment. Compte-rendu à bâton rompu !
USofParis : Est-ce que ce sont les interviews données pour la sortie de votre albumApatride qui vous ont inspirées pour ce spectacle ?
André Manoukian : En fait, dans tous les concerts que je fais, je parle entre les morceaux. Jusqu’à ce qu’on me dise : « C’est formidable ce que tu racontes ! Ça mériterait un spectacle en soi ! » Donc du coup, j’ai compilé tous les sujets qui me tiennent à cœur.
Ma rencontre avec le chant, c’est en studio, avec une chanteuse de jazz qui vient improviser. Et ça va être une révélation absolue, je vais passer du côté féminin de la force !
Puis quand je suis arrivé à Boston, pour mes études, je me rends compte que toutes les bases de l’impro tiennent sur une demi-feuille de papier…
Ensuite, je rencontre un musicien classique qui me dit : « Tu sais, autrefois, tous les musiciens étaient des improvisateurs. »
Donc je m’aperçois qu’on a sciemment “désappris” une technique dans l’histoire de l’humanité, dans un but de contrôle. Tout à coup, c’est le compositeur qui devient le patron et vous, les musiciens, vous ne vous exprimez plus. Vous n’êtes plus que des lecteurs de notes.
Et puis ensuite, il y a le chant. L’aspect trouble entre le sacré et le sucré. Les grecs appelaient l’une la musique d’Apollon, et l’autre la musique de Dionysos. Il n’y avait pas de jugement chez les grecs.
Parfois, on a juste envie de danser, de boire des coups, de s’oublier et de retrouver son animalité. Et puis l’autre qui vous élève vers une forme de méditation. Après, ça va se dévoyer avec Platon et avec les chrétiens. Ils vont dire : « Il y a la musique de Dieu et la musique du diable », jusqu’au gospel.
Je raconte un peu tout ça. Le prétexte, c’est que je ne peux plus travailler avec des chanteuses, j’en ai marre de tomber amoureux d’elles…
C’est fini les chanteuses ?
Non mais tu rigoles ? J’ai fait un album avec 120 chanteuses ! Impossible… Mais de temps en temps, c’est bon de se retirer, de se faire une détox pour replonger avec plus de gourmandise…
On a vu ce goût du partage entre les morceaux dans le concert Apatride au Trianon.
C’était une manière de me guérir, de me sortir de toutes ces histoires mises bout à bout, c’est la quête d’un musicien. Pour aller où ? Pour aller vers la liberté, vers la liberté d’improviser.
Parce que la musique, ça peut aussi être terriblement hiérarchisé.
Encore plus maintenant avec internet. Avec tous les compositeurs qui sont avant moi, j’arrive et il va falloir que je fasse quelque chose de nouveau. A chaque fois, on croit que c’est impossible, que c’est une cause perdue, mais pourtant on y arrive. Et ça, c’est le miracle de l’inspiration.
C’est de tout ça dont je voulais parler dans le fond. C’est une rêverie à voix haute d’un musicien qui, entre deux morceaux, essaye de piger.
C’est ça qui est bien dans cette conférence. C’est que novice en musique comme musicien, on découvre des nouvelles choses, de nouvelles histoires.
Il y a un bouquin que j’adore, c’est Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier. C’est la vie de Robinson Crusoé mais analysée par le spectre de la psychanalyse.
Il va essayer de reconstituer la civilisation dans son île jusqu’au jour où Vendredi met le feu à des barils de poudre. Tout ce qu’avait construit Robinson explose. Alors, Vendredi lui dit qu’ils peuvent vivre avec la nature sans la domestiquer, en communion.
Le jazz c’est l’africain esclave qui découvre la musique classique et qui va la dynamiter pour en faire quelque chose de fabuleux. Qui va lui redonner ce truc de jeu, un peu drôle, de rythme, d’invention. Parce qu’en Afrique, il y a cette tradition de call and response : quelqu’un se met au centre et fait ce qui lui passe par la tête et les autres répètent. Et comme ça, on va construire un récit à plusieurs. C’est ça le jazz.
La musique, elle n’aime pas qu’on l’enferme. C’est en Orient qu’elle est en train de se redévelopper.
Quand on voit le succès incroyable d’un Ibrahim Maalouf, qui remplit 15 000 personnes à Bercy, en jouant de la trompette de jazz. Ben c’est quoi, ben c’est l’Orient ! C’est par là que les choses sont en train d’arriver, parce que ce sont de nouveaux sons, de nouveaux jouets, de nouveaux modes.
Donc du coup toutes ces histoires sont vraies dans cette conférence ?
Oui ! Pour rigoler je dis aux gens que c’est vrai à 60 %. Mais en fait, c’est vrai à 100 %.
C’est sûr que quand je dis que le jazz est né quand on a coupé la tête de Robespierre, c’est retracer un chemin. Mais ce chemin est vrai. On coupe la tête de Robespierre, le lendemain les parisiens font la fête et inventent une danse de dingue, une danse de joie, qui s’exporte dans les colonies de Louisiane. Les esclaves africains s’en emparent et ça va donner le ragtime qui va donner le jazz. C’est une manière d’illustrer un chemin pour qu’on s’en rappelle mieux.
C’est pour ça que j’aime beaucoup Gilles Deleuze car il parle de rhizomes. C’est un jeu de racines. Il n’y a pas de début et pas de fin. Je crois que j’ai une pensée rhizomique.
Y a t-il un lien entre musique et psychanalyse, un lien cathartique ?
Ça c’est dans le blues. Le blues c’est tout d’un coup je n’en peux plus. Je vais exprimer ma peine en jouant. Et du coup je vais faire deux choses : extérioriser ma peine et en faire une œuvre musicale, harmonieuse, quelque chose de beau. Et quand je vais l’écouter, ça aura deux fonctions : l’expulser de moi, en faire un objet qui devient agréable à écouter, qui raconte ma souffrance et qui m’en guérit. C’est comme une auto-catharsis.
Du coup, l’acte musical, c’est l’antidote à ça. C’est le raconter et le transformer. La catharsis dans la musique, c’est capital.
Quand je dis dans mon spectacle que Beethoven se fait larguer et qu’il écrit La sonate au clair de lune, c’est encore plus chouette qu’avec des mots ! Parce que les mots, ils ne vont qu’au psychanalyste, et il vous prend du pognon. Là, c’est le contraire. On peut gagner un pognon avec sa tristesse tout en faisant une belle mélodie et un bon texte.
Certains artistes ne sortent de bons albums que lorsqu’ils sont tristes.
Mais tous !
Phil Collins, quand il va faire son premier album qu’il va vendre à des millions d’exemplaires, c’est parce que sa femme le largue. Ou quand John Lennon chante Julia, c’est pour sa mère. Ça nous prend tous.
Vous êtes divers, on vous retrouve un peu partout à la fois. Vous laissez-vous guider ?
Oui, je suis un skieur. Je prends les reliefs et puis je tourne autour. J’ai un défaut que j’essaie de corriger mais je n’y arriverai jamais : je ne sais pas dire non !
Si on reste dans son monde et dans ce qu’on aime, on se sclérose très vite. Un musicien a toujours besoin d’être ouvert sur les autres. Il y a un moment où moi-même j’ai cru que j’avais les recettes. Et c’est là que ça commencé à ne plus marcher.
Après Liane Foly, j’ai voulu refaire la même chose avec des chanteuses. Et je n’y suis plus arrivé car c’était un moment de grâce. C’était notre rencontre à nous, dans un certain contexte, une certaine époque.
Mais je me suis plongé dans mes racines arméniennes. Et il n’y a pas que des névroses, il y a une capacité d’adaptation. Et quand je parle de ma grand-mère dans le spectacle, en disant qu’elle a inventé la PNL (Programmation Neuro-Linguistique), c’est à dire parler le langage de l’autre pour se faire comprendre par l’autre. C’est parce que c’était une question de survie. Quand elle dit à l’officier turc « Comment tu peux faire ça au nom de ta foi ? », parce que le mec est pieux, elle le touche en plein cœur. Et il va la protéger par la suite.
J’ai hérité de ça. Instinctivement, je jauge la personne en face de moi. Je vois ses codes et j’essaie de parler un peu comme lui.
Ayant conscience de ces choses-là, j’ai qu’une envie, c’est d’essayer de partager une musique, le jazz que j’aime le plus au monde. J’essaie de simplifier le jazz, sans l’abîmer.
C’est ça le secret pour mettre des mots sur les émotions aussi bien que vous le faites ?
Les mots sur les émotions, il faut aller dans la métaphore. C’est la seule solution parce que c’est compliqué. Ça, je l’ai appris aussi à la télé. Par rapport au gamin qui est là devant toi. Il a seize ans, Il a du talent mais il n’est pas prêt. Tout d’un coup, il est évalué et tu as des pros qui lui disent : « Ça c’est bien, ça travaille le un petit peu, ça c’est une voix de garage, n’essaie pas de chanter comme lui, tu as ton truc. »
Mais le mec repartait avec la banane même s’il avait quatre non.
Et si tu vois les master-class d’un chef, il y en a, des métaphores : « Beethoven, il est désespéré, il veut se suicider, alors je veux l’entendre dans ton violon.» Tout à coup, le mec, il pige.
D’ailleurs, je conseille de regarder les master-class de Leonard Bernstein. Il dit « Toute ma vie il fallait que je transmette, que j’enseigne parce qu’en enseignant, j’apprends. Et je dois tellement à mes maîtres. »
Et quand tu te retrouves face à un môme, c’est pareil. Même s’il n’a pas de notions de musique et que tu sens qu’il y de la musique en lui, tu ne peux pas le laisser comme ça. Il faut qu’il te comprenne : donc, métaphore !
Petit quizz rapide pour terminer !
Une chanson, un morceau pour séduire une femme ?
Je vais aller dans Harry rencontre Sally, Harry Connick Jr. qui dit It had to be You, il n’a que toi, comme ça tu la rends unique .
Une chanson, un morceau pour séduire un homme ?
J’ai envie de lui parler de l’introduction du Tannhäuser de Richard Wagner, parce que d’un coup, c’est des accords majeurs, une marche en avant.
Une chanson, un morceau pour se marier ?
Dans la bande originale de La Ligne Rouge de Terence Malick, il y a des sons d’enfants du Pacifique. C’est le plus beau chant qui soit, c’est d’une pureté incroyable.
Une chanson, un morceau pour séparer ?
Les torch songs, c’est pas ça qui manque ! On ne va pas aller sur Ne me quitte pas.
Jeane Manson : Avant de nous dire adieu.
Une chanson, un morceau pour s’évader ?
Un bon Philip Glass, un truc répétitif, mais ça peut être un peu abscond pour certains.
Non, plutôt le Chamam. C’est une musique argentine, des indiens Guarani. Et tout à coup, tu as l’impression que tu as toutes les tribus du monde qui se réunissent dans une musique qui te touche. Et il y a un bandonéoniste d’origine ukrainienne Chango Spasiuk, allez-y. C’est des musiques qui te prennent au cœur et qui te donnent de l’espoir en les Hommes.
Quel morceau ou chanson pourriez-vous écouter en toute circonstance sans jamais vous lasser ?
Brad Mehldau, son premier album The art of the trio . C’est vraiment son chef d’œuvre.
Le chant du périnée
Conférence psycho-érotique pianotée
de André Manoukian.
Tous les lundi à 20h
Jusqu’au 30 décembre 2019
Qu’il agace ou séduise, André Manoukian ne laisse personne indifférent. Il va sans dire que nous lui devons beaucoup dans la démocratisation de la musique. Quel lien existe-t-il entre Robespierre et le jazz ? Qu’est-ce que le psycho-érotisme ? Grâce à sa pédagogie, sa finesse et son sens de l’humour caractéristique, son spectacle Le chant du Périnée, au théâtre de l’œuvre, est comme lui : atypique et brillant !
En 2017, nous l’avions rencontré pour la sortie de son album Apatride.
André Manoukian aime parler, échanger et tout mélanger comme ça vient. Aussi bien la musique, les femmes, ses muses, que sa vie personnelle, ses origines, ses passions ou le jazz. Il possède un univers bien à lui et c’est une joie que de pouvoir le découvrir !C’est exactement ce sentiment que l’on retrouve sur scène : l’homme, deux pianos et un esprit bouillonnant n’attendant qu’à s’exprimer.
La musique… féminine
C’est bien l’axe principal de cette discussion-conférence. En effet, André Manoukian est passionné par les femmes. À l’instar de Beethoven, «Jean-Seb», Mozart ou Wagner dont l’inspiration provient autant de leur amour que de leur dépit…
Inspiratrices mais également parfois destructrices, elles lui permettent de composer ses partitions. Après une énième déception et son passé Arménien refaisant surface, il décide de s’affranchir d’elles afin d’écrire et de composer.Il aura maintenant une nouvelle compagne : son piano.Ce même piano qui, adolescent, ne lui donnait pas l’avantage face aux guitares des séducteurs du lycée. D’ailleurs, beaucoup se retrouveront dans cette anecdote… 😉
Le chant du périnée !
C’est quand même assez fou parce qu’André (oui, nous sommes intimes maintenant) nous donne envie de retrouver nos 9 ans et de nous inscrire au solfège ! Mais uniquement avec sa méthode, intuitive, artistique et non rébarbative ou fastidieuse…
Il éclaire aussi sur l’évolution de la musique : l’improvisation étant la base de tout jusqu’au 19ème siècle. C’est à cette époque qu’apparaissent les «conservatoires» de musique. Le but était de conserver et diffuser cet héritage précaire voué à disparaître. À partir de ce moment-là, les musiciens jouent en devenant de simples exécutants. En voulant sauver un patrimoine, c’est tout un art qui se retrouve complètement castré de son principe fondamental…
Vous découvrirez aussi une kyrielle d’histoires passionnantes sur l’importance de la musique dans les relations diplomatiques, mais aussi pourquoi la moustache d’André Manoukian se met à transpirer à l’écoute de certains morceaux. En effet, il serait bien réducteur de croire que la musique éveille simplement l’ouïe…
Soyez bien à l’écoute de votre corps, laissez circuler les notes et vous pourriez être surpris… Nous en avons fait le test et le résultat est intéressant !
Le chant du périnée, c’est véritablement 1h40 (et parfois plus) de plaisir, qu’il soit musical, instructif, pédagogique ou poétique. Sans oublier bien entendu le décryptage des morceaux à deux mains en live sur clavier ou stand-up version Manoukian !
Passionnés de musiques ou novices, il ne faudrait pas rater ça !
Sinon, on vous a dit que nous avions adoré ? 😉
Le chant du périnée
Conférence psycho-érotique pianotée
de André ManoukianTous les lundi à 20h
Jusqu’au 30 décembre 2019
Voix rocailleuse, démarche gauche, corps tatoué et fatigué, Joeystarr s’offre tout entier, et sans artifice pour cette version d’Elephant Man mise en scène par David Bobée. Pas de masque pour suggérer la monstruosité du physique de John Merrick qui fascine tout autant qu’il répugne. L’imagination est de mise. Seules quelques images vidéo d’un visage déformé viendront aider le spectateur à entrevoir le pire.
David Bobée insuffle quelques étrangetés dans ce récit culte, et connu de beaucoup. Comme ces sœurs siamoises qui poussent la chansonnette, cette mort-vivante qui s’extirpe des tréfonds du décor. Ces projections vidéo qui viennent habiller les murs de l’hôpital.
Un personnage sulfureux fait son apparition : Jack l’éventreur, interprété par Luc Bruyère, mannequin et aussi créature nocturne du Cabaret Madame Arthur.
Et puis le couple de l’affiche s’unit enfin devant nos yeux. Qui est cette femme, toute de noir vêtue qui vient rendre visite à John Merrick ? Madame Kendal, une comédienne autant fascinée que passionnée par l’attirance qui peut naître de la différence et du handicap.
Car ce sont ces problématiques qui sont au cœur du récit de Bernard Pomerance. Comment dépasser le physique pour ne retenir que le talent, la sensibilité, l’intelligence ?
Elephant Man
de Bernard Pomerance
mise en scène de David Bobée
avec Joeystarr et Béatrice Dalle
Audrey Fleurot fait valdinguer son image de femme fatale et de beauté froide qu’elle incarne depuis sa consécration dans la série Engrenages. Avec Jo au Théâtre du Gymnase, la comédienne montre des facettes méconnues de son talent. C’est bluffant, jubilatoire et détonnant.
Antoine (Didier Bourdon), auteur de théâtre de boulevard, se décide à commettre un crime.
Il se documente, prépare son coup. Pour cacher son jeu, il fait croire qu’il change de registre et se met à l’écriture d’une pièce policière. Sylvie (Audrey Fleurot), sa femme comédienne, est aux anges. Elle va enfin pouvoir montrer l’étendue de son registre. Seulement elle n’est pas adepte du jeu intériorisé.
Une série de déconvenues comme l’arrivée d’une sculpture immonde dans le jardin, une belle-mère collante, des visites impromptues, vont finir par compromettre le scénario de crime parfait imaginé par Antoine.
Audrey Fleurot exubérante à souhait
C’est une sorte de mise en abyme pour Audrey Fleurot. Elle incarne une comédienne qui souhaite casser son image, ce que fait la rousse incendiaire chaque soir en incarnant Sylvie, une femme légère, à l’opposée totale de ses autres grands rôles.
On sent qu’Audrey prend un malin plaisir à surprendre et désarçonner son public. Ses tenues de scènes colorées, sa capacité à surjouer ou à se vautrer sur la moquette pour les besoins de son personnage, sa malice sont étonnantes. On ne la reconnaît plus.
Alors quand elle se met à pousser la chansonnette, c’est comme si on se prenait une déflagration. Avoir choisi un tel rôle est audacieux et génialement barré !
Certains pourront lui le reprocher. Nous on jubile de bonheur.
A ses côtés, Didier Bourdon est excellent en mari prêt à tout pour dissimuler les égarements de jeunesse de sa femme. Dominique Pinon est un inspecteur Ducros implacable mais avec quelques faiblesses.
Jo est une farce délirante qui est capable d’aller loin pour faire rire.
Jo
d’Alec Coppel
adaptation : Claude Magnier
nouvelle adaptation et mise en scène : Benjamin Guillard
PALACE, la série culte qui a bercé notre enfance se retrouve adaptée sur scène. Au-delà de l’humour, du 3e voire 4e degré, du non-sens, ce qui a marqué c’est le casting incroyable. Au Théâtre de Paris, Jean-Michel Ribes, auteur et metteur en scène, a formé une troupe absolument brillante. Voici nos chouchous choisis par Ribes parmi plus de 300 artistes castés.
Joséphine de Meaux is the one
La nouvelle Lady Palace ne manque pas de panache et de classe.
Dans sa robe jaune, elle dispense ses meilleurs conseils aux clients pour maintenir leur standing dans un palace. La priorité étant de baigner dans l’opulence financière. Le reste suivra tout naturellement.
C’est Joséphine de Meaux qui reprend le rôle et il lui va comme un gant. Elle est pétillante à souhait. Sa silhouette, son élégance, participent au charme qu’elle répand sur le public.
Bravo à Joséphine, elle nous a fait totalement oublier Valérie Lemercier, la créatrice du rôle pour la télé.
Rodolphe Sand truculent à souhait
Pas facile de porter comme nom Anus et d’avoir un transit laborieux, ni de déclarer sa flamme à son meilleur ami, ni même de se retrouver bloquer sur un escalier.
L’avantage est que le combo peignoir et mules va à merveille à Rodolphe Sand, tout comme son costume de trublion pour les séquences Soyez Palace chez vous ! Le comédien donne à voir ses multiples talents et son don de caméléon en se lovant avec aisance dans plusieurs rôles.
Elle n’en a pas l’air mais sa performance est physique. On l’imagine courir dans les coulisses pour changer de costume.
Philippe Magnan la force tranquille
Tour à tour bourgeois partouzeur, serveur ou académicien à l’article de la mort, Philippe Magnan impose son style. Pas d’éclat, tout est dans la subtilité, mais son jeu n’en est pas monotone pour autant.
Coulisses du spectacle
Jean-Marie Gourio, co-auteur de Palace sur scène, a confirmé lors de notre rencontre le cousu-main pour chaque comédien du spectacle :
“Une fois totalement écrit, on a cousu le texte sur les comédiens durant les répétitions On retouche toujours pour qu’ils soient joyeux sur scène. S’ils n’aiment pas une phrase, une réplique, on la change, pour que chacun puisse jouer avec un matériau qui lui plaise.”
L’originalité du spectacle est ce mélange de sketchs et d’intermèdes musicaux. Le comédien Eric Verdin évoque l’esprit de troupe :
“On se nourrit beaucoup les uns les autres.
Je suis comédien et c’est la première fois que je travaille avec des danseurs. Je me nourris des danseurs, de leur énergie et de leur tonicité. J’entre sur scène porté par leur immense énergie. C’est nouveau pour moi, c’est une expérience différente et stimulante.”
Seul regret: que l’une des plus belles répliques de la série soit absente de cette adaptation de Palace sur scène. Je vous laisse juge : “Il a un anus trop artificiel pour être honnête !”
Un chef-d’œuvre que je ne comprenais pas quand j’étais petit et qui faisait marrer mon père, alors je répétais la phrase. J’ai compris le sens exact quelques années plus tard.
PALACE
d’après la sérié télévisée de Jean-Michel Ribes
adaptation Jean-Marie Gourio & Jean-Michel Ribes mise en scèneJean-Michel Ribes
avec Salim Bagayoko, Joséphine de Meaux, Salomé Dienis-Meulien,Mikaël Halimi, Magali Lange, Jocelyn Laurent, Philippe Magnan, Karina Marimon, Gwendal Marimoutou, Coline Omasson, Thibaut Orsoni, Simon Parmentier, Christian Pereira, Alexie Ribes, Rodolphe Sand, Emmanuelle Seguin, Anne-Elodie Sorlin, Alexandra Trovato, Eric Verdin, Philippe Vieux, Ben Akl, Armelle Gerbault