“La B.O. 2 -M- est une invitation à la méditation moderne. Parce que l’intention c’est d’arrêter de penser. Et puistu te dis « Qu’est-ce que c’est ce bordel ? », tu ne penses plus à autre chose qu’à ça.
Après les gens partent dans leur univers. J’aimerais que l’album les déconnecte de leur quotidien.”
Matthieu Chedid propose un trip musical qui se savoure les yeux fermés, entièrement déconnecté (pour une fois) de toute vie numérique. La B.O. 2 -M- est à la fois un disque de pure musique et un livre illustré par le talentueux dessinateur Matthias Picard.
-M- nous dévoile les coulisses de cette création originale qui va aussi bien enthousiasmer les passionnés de nouvelles expériences que désarçonner les fins connaisseurs du chanteur.
On ne revient pas indemne de ce rêve surtout quand il est accompagné d’une boisson corsée. Toute résistance est vivement déconseillée.
INTERVIEW #M_LABO2M
UsofParis : Un rêve c’est plutôt personnel. Pourquoi avoir décidé de partager celui-là avec le plus grand nombre ?
-M- : Parce que c’est un monde extrêmement inspirant. Tout part du rêve quelque part, c’est vraiment une autre dimension qui fait partie de la vie et dont on parle moins. C’est là tout le temps mais on ne le met pas justement en lumière. C’est mettre en lumière l’obscurité.
C ‘est un rêve quand même mais surréaliste. Il y a des fragments de rêves. C’est de l’écriture automatique au départ : c’est surtout laisser l’âme prendre les commandes de l’esprit. C’est ça qui m’intéressait.
Donc j’ai relu pas mal les surréalistes et je m’en suis beaucoup inspiré pour la musique et pour le texte.
Et lesquels en particulier ?
André Breton, d’abord parce que c’est lui qui a écrit le manifeste. Et puis ensuite toute la lignée de Perec, René Char, Aragon et les autres.
Donc tu as eu besoin de te préparer, de te documenter avant de commencer ?
Non, parce qu’en fait au départ ca ne devait être qu’instrumental. J’avais fait Labo -M-, il y a 13 ans, je voulais faire Labo -M- 2.
Et puis, on est parti en studio avec les musiciens de la tournée.
On s’est dit, pour qu’il y ait une contrainte, je vais relire les surréalistes et je vais transférer en musique les règles surréalistes : les cadavres exquis, l’écriture automatique. Vraiment comme dans l’inconscient.
Donc, sur des règles surréalistes, on a improvisé, enregistré et mixé au même moment. Toute la musique a été faite dans l’instant. On a enregistré durant quatre heures et après on a fait un montage d’une demi-heure pour en faire un voyage initiatique. C’est de là que Labo -M- 2 est devenu La B.O. 2 -M-, parce que je me suis dit qu’il fallait vraiment écrire un rêve à partir de truc-là.
Donc par des fragments de rêves, par l’imaginaire et beaucoup d’écriture automatique, et aussi en m’inspirant de la musique, j’ai construit le rêve sur la musique. Et c’est comme ça que la bande dessinée est arrivée en troisième étape.
C’est un O.V.N.I., un objet non identifié qui s’est fait empiriquement de manière évolutive.
Et du coup il n’y a eu qu’une seule prise ?
Sur toute la musique qu’on entend, il n’y a eu qu’une seule prise. Après, on a rajouté des ambiances de Pierre Boscheron pour illustrer un peu le rêve et quelques mini-voix, parsemées. Il y a la voix parlée et il y a quelques chants comme ça.
Ça veut dire que tout te satisfaisait dans cette expérience-là ?
Oui. C’est surtout une acceptation du réel. C’est à dire qu’à un moment, le réel est parfait. Donc si c’est là c’est que ça doit être comme ça.
J’ai noté une phrase dans ce rêve qui était : « Oublier de faire l’amour ». Comment peut-on oublier de faire l’amour ?
C’est n’est que dans les rêves qu’on peut oublier de faire l’amour !
Comme il en est question dans ce projet, te souviens-tu de la première fois que tu as utilisé l’expression « Onde sensuelle » ?
J’adore l’alchimie des choses. J’adore fabriquer, comme un artisan, des petites choses. Je pense à Machistador parce que c’est Matthieu Chedid, match. Il y avait le conquistador. Il y avait l’idée d’adoration. A un moment, c’est un amas d’idées, tu les colles ensemble et ça fait des mots.
Pour Onde sensuelle, ce n’est pas très clair. Je pense que c’était du ressenti. Mais je ne sais plus comment elle m’est venue celle-là.
C’est vrai qu’elle est superbe.
Elle est très évidente. Je me suis rendu compte que, comme Serge Gainsbourg le faisait beaucoup, le recyclage est hyper intéressant car ça fait exister les choses quand tu les retrouves dans un parcours, sur un chemin. Parce que si tu sèmes un truc, mais que tu changes tout le temps c’est super. Mais revenir sur un élément, ce n’est pas forcement de la flemmardise, c’est plutôt l’idée de faire vivre et revivre les choses.
Même pour l’auditeur, c’est hyper stimulant. C’est aussi un rappel aux souvenirs.
C’est ça, exactement. C’est un rappel au parfum. Pour moi la musique et le parfum sont très analogues. Je me suis rendu compte que quand on réécoute une chanson qui nous a marqué dans notre vie, on a une émotion similaire lorsque l’on ressent un parfum qu’on avait senti dans une situation particulière. Ça doit toucher aux mêmes sens quelque part. J’en avais même fait une chanson qui s’appelle L‘élixir où je faisais un peu le parallèle entre le parfum et la chanson.
Est-ce que tu rêves en musique ?
Non, c’est vrai qu’il manque la bande-son souvent dans le rêve. Mais c’est très possible que j’ai du rêver en musique.
On a tous fait les plus grandes symphonies, les plus grandes chansons de notre vie dans les rêves et au moment où tu te réveilles, tout s’efface.
Peux-tu te réveiller à cause d’une musique ? Quelque chose qui peut te venir dans la phase entre le sommeil et l’éveil ? Ou même un texte ?
Complètement. Récemment, j’ai été réveillé par des paroles très fortes qu’on te dit dans un rêve.
Et ça va se retrouver dans l’écriture d’une prochaine chanson ?
Ce que j’ai reçu il y a pas longtemps, je l’aurais mis dans mon rêve si j’avais pu.
C’est toujours pareil. Quand tu ouvres ces portes-là, d’un monde un petit peu plus parallèle, tu y accèdes un petit peu plus après car d’une certaine manière tes antennes captent plus.
Un adjectif pour qualifier le travail de Matthias Picard ?
Ce qui me vient tout de suite c’est talentueux, inspiré. C’est une pépite pour moi. Quand je faisais ce rêve, j’ai découvert sa BD en 3D Jim Curious qui est incroyable. Je me suis dit « C’est les dessins que je veux, c’est vraiment ça ». J’ai appelé Mathias et j’ai eu la chance qu’il joue le jeu avec moi, qu’il plonge dans mon rêve et qu’il le mette en images.
Chaque dessin était une évidence. On échangeait beaucoup sur tout ça pour que je l’alimente un peu.
Donc il y a eu des allers-retours ?
Beaucoup, oui. Mais c’est quand même son univers. Je ne l’ai pas vampirisé. C’est vraiment un ping-pong. Je n’interférais pas dans l’esthétique, mais dans le fond plus que dans la forme.
Ça a été comme une évidence. Quand tu fais quelque chose avec quelqu’un et que tu dis : « Je n’aurais pas pu trouver mieux ».
As-tu redécouvert ton rêve ou certains détails ?
C’est certain qu’il a mis en lumière des choses que je ne voyais pas forcement. Mathias a vraiment donné une autre vision de mon rêve mais un univers en commun. C’est vrai que je me reconnais dans ses images. Il a sublimé mon rêve à sa façon.
On a assisté à l’écoute de ton disque dans une salle de cinéma. Pourquoi le choix d’une boisson épicée pour cette écoute ?
Il y a cette idée de parfum surdosé au gingembre dans le rêve. Ce rêve, il faut vraiment le décortiquer. Il y a plein de choses partout. Le gingembre fait partie du rêve et cette onde sensuelle m’enivre par son parfum surdosé au gingembre. C’était une façon de ressentir cette force. En plus, il y a un documentaire qui montre cette expérience qu’on a faite en studio : on a bu du gingembre pur parfois pour se mettre des coups de fouet juste avant de jouer. Il y a même eu une stripteaseuse qui est venu en studio… on a joué dans le noir. On a fait plein de trucs très bizarres pour vraiment aller chercher nos limites.
Et donc ça vient de cette expérience-là en studio que tu aies proposé une écoute de cet album les yeux fermés ?
C’est surtout que ça permet plus de rentrer dans son intime. Au départ, il faut écouter et les yeux fermés tu es plus dans le rêve que quand tu les ouvres. C’est pour se donner la chance de rentrer plus dans le rêve.
Quelle est la position idéale pour écouter et lire La B.O. 2 -M- ?
J’aime bien allongé. Pour moi c’est un peu psychanalytique, donc sur un divan : c’est parfait.
Et le meilleur lieu ?
Dans son cocon, dans son chez soi. Si possible éteindre son portable, les lumières et même fermer les volets, dans un lieu le plus obscur possible, le plus calme possible : déconnecté.
L’écoute de ce disque nous a ramené à notre adolescence. Quand on écoutait l’album Pulse, le live de Pink Floyd, de la même façon, dans le noir, en rentrant des cours. Il y avait un côté planant, très enveloppant. Est-ce que se sont des tonalités que tu as recherchées ?
Complètement. Pour moi aussi cette expérience me rappelle un émoi d’adolescent, avec mon pote d’enfance, Fabien Namias qui est aujourd’hui un des dirigeants d’Europe 1. On écoutait sur la chaîne quadriphonique de sa mère les Pink Floyd, Led Zeppelin et les disques concept. J’avais des émotions hallucinantes. Je me rappelle que ce jour-là je me suis dit « c’est ça que je veux faire comme musique ! ».
Quelque part, ce projet est vraiment apparenté à cette émotion d’adolescent. C’est vraiment un projet d’adolescence.
On peut dire que La B.O. 2 -M- est un album concept ? Tu l’as qualifié d’O.V.N.I.
Pour citer Gilles Deleuze, que j’aime bien, je dirais album percept. Parce que concept, c’est un ensemble de conceptions et percept c’est un ensemble de perceptions. Et on est plus dans la perception que dans la conception. C’est du ressenti.
On a eu l’impression de redécouvrir -M-, ou Matthieu Chedid, plus incisif, plus empirique aussi au niveau musical. Est-ce une fausse impression ?
Non. Ça va chercher dans les entrailles de mon imaginaire. Donc c’est plus complexe. Mais d’un autre côté ça a toujours été présent. Il y a toujours ça dans ma musique mais je ne la fais pas forcément écouter. Celle que je fais écouter c’est la musique que j’ai digérée et un peu simplifiée. Cette fois, on est plus dans le laboratoire.
Quelle est la dernière claque musicale que tu as reçue ?
Là tout de suite, c’est Alabama Shakes. J’ai ré-écouté récemment la chanson Always Alright.
J’adore cette énergie, cette voix, cette authenticité. Ce n’est pas courant. En plus, c’est toujours la même bande d’Amy Winehouse. Ça me fait vibrer. Tout d’un coup, j’ai l’impression d’écouter de la musique africaine parce que c’est authentique. Et ça me fait du bien.
Un retour sur ton album qui t’as amusé, touché ?
Oui, j’ai eu même un témoignage incroyable d’une journaliste italienne parce qu’elle était bouleversée. En plus, elle est vraiment dans l’art contemporain, assez aiguisée dans ce domaine. C’est comme si ça tombait à un moment où elle avait besoin de ça.
Elle revenait sur des fondamentaux. Je n’ai plus les mots mais elle disait « archétypal » et « 10 ans » qu’elle n’avait pas eu une émotion comme ça. Peut-être qu’elle est comme ça avec tout le monde, mais j’y ai cru ! 😉
Ce qui est sûr, c’est que cet album peut aussi inquiéter les gens. Mais quand on rentre dedans, qu’on se laisse aller, qu’on lâche prise… J’ai eu des témoignages comme jamais sur ma musique. Parce que bizarrement, ça surprend vraiment. Ça va toucher un endroit que ça ne touche jamais. Tout d’un coup avoir un truc qu’on a rarement, il prend encore plus de valeur.
La rareté me fait du bien aussi. Quand je tombe sur quelque chose de rare, j’ai l’impression que c’est une pépite. Je ne pense pas que c’est mieux un disque comme ça. C’est simplement plus rare qu’un album classique.
Mais il y a quelque chose de plus intime aussi. On suit ta voix. Dans un album studio, on prend tout dans la globalité.
C’est vrai que les femmes sont un peu gênées aussi, en disant que c’est très « sensuel ». C’est vrai que les mecs ont moins cette impression, ou ne le disent pas.
La B.O.² -M-
de Matthieu Chedid et Matthias Picard
un livre de 96 pages et un CD inédit de 58 min incluant La BO² -M- et sa version acoustique
(Éditions 2014)
sortie le 13 novembre 2015
Edition limitée (350 exemplaires) avec le coffret Orange Numérique conçue par Devialet à 150 euros
Disponible à la réservation en avant-première le 12 novembre à la boutique Devialet Réaumur
La B.O. 2 -M- Expérience au Yoyo – Palais de Tokyo
le dimanche 13 décembre 2015 avec 3 expériences live à :
15h, 18h et 21h
Expérience en 3V : concert expérimental, voyage initiatique et intérieur et exposition
Dédicaces : le samedi 14 novembre au Merle Moqueur / Le 104 (Paris)
Et le samedi 21 novembre à la Librairie Kléber (Strasbourg)