“L’intérieur de l’homme est un cadenas dont la langue est la clef”
Ce proverbe malien semble pouvoir se rapporter au propos de la pièce Nuits Blanches adaptée d’une nouvelle de l’auteur japonais Haruki Murakami et actuellement à l’affiche du Théâtre de l’Oeuvre à Paris.
La pièce suit le monologue d’une femme, effacée, préférant mettre en avant son mari plutôt que sa propre personnalité et dont le quotidien semble réglé à merveille. La mécanique fonctionne jusqu’à ce qu’une série de nuits sans sommeil ne vienne la tirer de sa léthargie et la révèle à elle-même. Pour porter cette femme aux contours incertains, Nathalie Richard opère une performance rare, fait de soubresauts de jeu impressionnants, entre égarement et illusions.
Rencontrée dans les coulisses quelques minutes après la représentation de ce dimanche, la comédienne avoue, avec le sourire, ne pas forcément avoir envie de parler en sortant de scène, surtout après avoir passé 1h10 sans interruption, en solo, en prise directe avec un texte qui ne laisse aucun répit aux spectateurs.
Nathalie Richard partage avec nous ce qui l’a attiré dans ce texte – nouvelle avant de devenir pièce de théâtre : “je connaissais quelques textes de Murakami. Ce qui m’intéresse c’est son intérêt pour la littérature, il recycle pas mal de grands auteurs dans ses histoires. Sa particularité étant de penser qu’il y a plusieurs mondes concomitants. L’art pourrait permettre de passer d’un monde imaginaire puis à un autre, et aussi à la réalité. C’est ce goût pour une forte croyance en la nécessité de l’imagination comme support de liberté et la structure de l’écriture qui m’intéressaient avant tout.”
La comédienne nous apporte aussi une autre lecture qui nous avait échappée tout juste sortis de la salle : “Murakami le dit mais pas vraiment, il y’a quelque chose d’assez politique dans cette question de double monde. La question des secousses, des tremblements subsidiaires renvoient à une image de personnes coincées dans un étau, de la société japonaise.”
“Un paysage de géographie intérieure”
La performance de la comédienne tend à incarner une femme dont la description dans la nouvelle est très sommaire. Elle s’appelle “elle”, et renvoie pour l’interprète à Kafka : “le portrait est discontinu et éclaté, je pense percevoir et voir cette femme comme le spectateur. C’est quelque chose de proche et de lointain à la fois. Je ne pourrais pas la dessiner non plus ou alors de l’intérieur.”
Avant de rajouter : “je pensais à la nouvelle de Ray Bradbury – L’homme illustré – qui fait évoluer un homme tatoué. Dans ce texte de Murakami, les tatouages seraient à l’intérieur du personnage.”
La difficulté de la mise en scène opérée par Hervé Falloux, complice de longue date de la comédienne, et qui signe aussi l’adaptation, était de mettre le récit au présent alors que dans la nouvelle tout est passé simple et imparfait. Ce texte porte en lui la question d’une narration spécifique qui n’a pas forcément été conçue pour le théâtre.
La volonté du metteur en scène était de rechercher la sensation, “l’émotion de la sensation” tout en appréciant l’aspect surnaturel de ce texte qui faisait aussi écho en lui.
Quand nous abordons la perspective de passer plus de deux mois avec ce texte, Nathalie Richard répond sans détour : “je ne sais pas si c’est un texte avec lequel il faut être à l’aise. Tous les soirs ce n’est pas la même chose. Je ne dois, en tout cas, pas m’installer. Si on s’installe, il y a le risque que ça mollisse. Il n’est pas non plus possible d’en faire trop. L’équilibre est assez instable et il faut l’accepter. Tout est double aussi dans la perception de cette histoire.”
La rencontre se termine avec une évocation musicale, élément dont l’absence dans la mise en scène d’Hervé Falloux ne fait finalement pas défaut : “je pense au jazz, à cette liberté du jazz quand je suis sur scène. Cet aspect mouvant de la pièce ne doit pas rester enfermé.”
NUITS BLANCHES
d’après la nouvelle Sommeil
de Haruki Murakami
avec Nathalie Richard
adaptation et mise en scène : Hervé Falloux
texte français : Corinne Atlan
décor et costume : Jean-Michel Adam
lumière : Philippe Sazerat
Au Théâtre de l’Oeuvre
55, rue de Clichy
75009 PARIS
du 28 novembre au 25 janvier 2015
du mardi au vendredi 19h
matinées le samedi et dimanche à 18h