Avec Belle d’Hier, la Compagnie Non Nova, menée par Phia Ménard, tente de se libérer du mythe du prince charmant. Sur scène, telles les désillusions des petites filles face aux hommes injustement tout puissants, les robes de bal se transforment en serpillières. C’est beau, parfois violent, souvent dérangeant. Le but est atteint. On ne sort jamais indemne d’un spectacle de Phia Ménard.
N’allez toutefois pas croire que la circassienne d’origine nantaise ne pense qu’à monter sur les barricades. Alors qu’elle mettait en place son spectacle, joué à partir de ce soir, et jusqu’au 9 octobre, au Théâtre de la Ville, nous en avons profité pour déjeuner avec elle. Maquillage léger et manucure parfaite, Phia Ménard affiche un large sourire devant son tiramisu, prend le temps et parle d’une voix douce. Interview.
USofParis : Dans Belle d’hier, quelles sont vos revendications ?
Phia Ménard : La pièce est un peu un manifeste à elle toute seule. Dès notre enfance, on nous dit que les petites filles doivent être sauvées par des princes et que grâce à eux, elles seront encore plus des princesses. Cette idée est fausse. On se sauve soi-même et certainement pas avec un homme. Pour casser cette idée du pouvoir hétéro patriarcal, j’ai demandé à 5 femmes de ranger l’humanité. C’est à dire que je veux remettre tout à zéro. Et comme l’humanité n’a pas commencé il y a 2 000 ans, j’ai décidé de remonter cette remise à plat à partir de la sédentarisation de l’être humain.
Votre spectacle est parfois violent, vos propos sont très engagés. Et l’amour dans tout ça ?
On n’a jamais autant d’amour que par ses parents. Mais ça n’empêche pas de pouvoir rencontrer quelqu’un qu’on aime vraiment. Mais comment faire pour trouver l’amour dans des conditions où l’homme a le pouvoir juste parce qu’il est un homme ? Les premières victimes de la guerre, des violences sociales et des viols sont toujours les femmes. J’hypothèque alors toute notre société actuelle pour l’imaginer autrement.
Est-ce à dire qu’une femme est obligée d’être féministe ?
Elle n’est pas obligée, une femme se DOIT d’être féministe. On demande aux femmes de s’émanciper, mais ce sont les hommes qui doivent s’émanciper totalement de leur façon de voir le monde. On ne remet jamais en question la société, on joue aux dupes et les hommes gardent tous les pouvoirs. Ils ont toutefois des comptes à rendre. J’attends de Dieu qu’il mette une raclée aux hommes pour ce qu’ils font. A ce moment-là, je commencerai peut-être à croire en lui.
Vous semblez toujours très sérieuse, n’avez-vous jamais envie d’aborder des sujets plus légers, plus futiles ?
Je m’amuse, je ne suis pas dans un pays en guerre, je peux m’exprimer. On a tous une part de futilité. Je fais les boutiques, j’aime me faire masser, je ne suis pas en permanence sous tension ou revendicative. Seuls les fous furieux sont dans la revendication permanente et la stigmatisation par la peur. Je prends du plaisir dans et en dehors de mon travail. Il y a un business de la futilité, je ne souhaite pas en faire partie. Ça ne m’intéresse pas, je veux amener les gens à penser autrement sur la société. Mais je n’ai la prétention de changer le monde. Si l’art avait ce pouvoir, il l’aurait déjà fait depuis longtemps.
Qu’est-ce qui vous fait rire ?
Surement pas l’idiotie ! Je n’ai pas la télévision, mais ce que je connais de la téléréalité ne me fait absolument pas rire. Je ris beaucoup avec ma compagne, dans l’intimité. Nous rigolons de l’absurdité et à refaire le monde. J’aime quand le rire n’est pas recherché, contrairement aux spectacles de one-man show comme on voit souvent. Les clowns me font rire par exemple, car ils ont une totale liberté. Ils me surprennent en permanence et me dérangent là où d’autres ne le font pas.
Avez-vous envie d’intégrer d’autres disciplines du cirque dans vos créations ?
Dans le cirque, quand je crée, j’ai besoin de me poser la question sur ce qui est nécessaire dans l’espace dont je dispose. J’ai besoin que le spectateur s’identifie, et qu’il ne sublime pas le circassien. Le corps peut aller plus loin que ce qu’on imagine. On est alors impressionné par le jongleur. Ce sera en revanche difficile de s’identifier au trapéziste ou aux acrobates car c’est dangereux et très compliqué. Dans le jonglage, le rapport à la mort est inexistant.
Dans vos créations, vous utilisez des sons, des bruitages et très peu de musique. Pourquoi ?
Je ne veux pas que le spectateur soit amené là où j’ai envie qu’il aille. J’ai envie de lui laisser toute la liberté pour réfléchir. Quand je travaille l’élément sonore de la pièce, j’imagine ce qu’on entend dans l’image que je crée. Je déteste qu’un artiste me fasse avoir l’émotion qu’il veut que j’aie. Sinon je crie à l’arnaque. On oriente le spectateur. Je pense qu’on peut créer des émotions par d’autres moyens. Bien sûr, je suis tentée, comme tout artiste, de prendre de la musique. Mais je me dis qu’il faut que je travaille autrement et finalement, j’ai l’impression d’en utiliser quand même.
Le public parisien, et plus généralement français, est-il différent de celui des autres pays ?
Les spectateurs sont des spécialistes, où qu’ils soient. Notre société est culturelle. Partout dans le monde, nous avons un esprit critique et des références communes, ce qui fait que les spectateurs comprennent très bien ce que je fais.
Les Français, et plus particulièrement les parisiens, sont un public encore plus avertis. Les parisiens accordent une grande importance au théâtre dans lequel ils vont. Ici, on débat sur tout ce qu’on voit, tout le temps. Alors que dans certains pays, ce qu’on propose est vu avec plus de distance, on laisse passer ses émotions plus directement. En France, le théâtre est bourré de codes. Parfois, j’aimerais les transgresser.
Propos recueillis par Joël Clergiot
Avec Isabelle Bats, Cécile Cozzolino, Géraldine Pochon, Marine Rostaing et Jeanne Vallauri
Du 3 au 9 octobre 2015
Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet
75004 PARIS