Entre deux concerts, au festival « Passer le Périph’ » le 4 mai et au Gibus Café le 13 mai, nous avons rendez-vous avec Jo Wedin et Jean Felzine pour discuter de la naissance de leur duo, de leurs influences américaines 50s et 60s, et de leur futur (sortie d’un album ou d’un EP, concerts, …). Une belle rencontre avec des musiciens talentueux et passionnés, qu’il faut vraiment aller découvrir sur scène, et dont le duo n’a pas d’équivalent en France.
photo by Astrid K.
Baptiste & Gérald : Johanna, depuis quand vis-tu en France ?
Johanna Wedin : Ça fait dix ans que je suis en France, je suis venue pour changer de vie en fait. J’ai aussi habité à New York un an. Mais je suis restée en France pour la musique. J’avais un autre projet musical auparavant, qui s’appelait MAI. J’ai sorti un album en 2007, et deux EP. Toute la création musicale s’est faite en France ; mais la musique faisait déjà partie de ma vie en Suède. J’ai appris à jouer de plusieurs instruments : j’ai joué du saxo quand j’étais petite, un peu de piano, donc j’ai toujours fait de la musique, mais je n’ai jamais eu de groupe là-bas.
B&G : Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Jean Felzine : Johanna a arrêté son groupe MAI. Elle rêvait de faire des chansons en français.
JW : J’avais fait seulement une reprise en français sur un de mes EP [Si tu dois partir, de l’EP Silent Seduction, 2010]. Je pensais à faire davantage de morceaux en français depuis longtemps, mais comme j’écris en anglais, c’était très dur de se lancer. Et puis j’adorais ce que faisait Jean, je l’ai contacté, et il a écrit une chanson qui correspondait vraiment, exactement, ce que je voulais !
JF : Oui c’était la chanson Mets-moi dans ta valise. Et on s’est rencontrés aussi grâce à la manageuse de Jo, qui est la copine de l’ingé-son des La Femme avec qui on tournait à ce moment-là. Donc nous nous sommes vus, on a parlé de musique pendant toute une soirée. Et deux semaines après j’avais fait Mets-Moi dans ta Valise, et ça collait parfaitement avec ce que Jo avait en tête. Tout cela s’est déroulé pendant l’été 2012.
G : Chanter en français était vraiment un souhait très fort ?
JW : Oui tout à fait. Le français est une langue qui me fait rêver, et puis j’habite en France ! Il y a déjà beaucoup de groupes ici qui chantent en anglais ; de même en Suède, presque tous les groupes font des chansons en anglais. Donc le fait d’avoir le choix de chanter en français était formidable. Je connais aussi beaucoup d’artistes qui chantent en français, comme Françoise Hardy ou Serge Gainsbourg. Ce sont des artistes qui sont connus en Suède, et qui me faisaient rêver.
B : Le retour du français dans la pop, vous en pensez quoi ?
JF : Cela me réjouit. Et en plus c’est revendiqué maintenant : nous sommes fiers de chanter en français, parce que c’est notre langue, parce qu’elle est belle. Dans le cas de notre duo, c’est un peu différent car ce n’est pas la langue natale de Jo, mais on a aussi des morceaux en anglais su scène.
JW : Oui les morceaux sont tout de même plus abordables pour moi sur le plan de l’écriture quand ils sont en anglais. Au tout début, Jean faisait tout, maintenant, on co-écrit. Souvent j’apporte une trame narrative aussi.
JF : C’est le cas par exemple sur Les Hommes ne sont plus des hommes. Je ne me serais pas permis d’écrire un tel titre tout seul ! C’étaient les idées de Johanna, que j’ai mises en forme, parce que je maitrise mieux les rimes, la syntaxe etc.
JW : Souvent j’essaie d’écrire des petites phrases… Mais cela reste encore un peu maladroit !
JF : Oui mais c’est une bonne façon de faire des chansons. Quand j’écris tout seul, je procède de la même manière : j’essaie d’avoir une sorte de scénario, il y a bien sûr quelques phrases toutes prêtes, qui sont déjà en vers, qui viennent facilement, et ensuite j’essaie de donner une forme de chanson.
B : Restons sur l’écriture, on a trouvé quelques ressemblances avec le style et les thèmes des chansons et des poèmes de Boris Vian, fait-il partie de tes influences ?
JF: Je connais très mal Boris Vian, je pense que Johanna connait mieux que moi.
JW : Oui je connais quelques chansons, mais je n’ai jamais été particulièrement influencée pour autant.
JF : Il y a peut-être une certaine acidité dans ce que j’écris que l’on trouve aussi chez Vian.
G : Et de la même façon, Vian avait des influences très américaines du point de vue de la musique (le jazz en l’occurrence) mais écrivait des textes en français.
JW : Nous sommes très influencés par la musique américaine mais nous posons des mots français dessus. C’est ça l’idée de base. Quand j’ai rencontré Jean, on parlait de Spector. Mais pas beaucoup des groupes français.
JF : On dit souvent que les musiciens anglo-saxons chantent n’importe quoi dans leurs morceaux, mais ce n’est pas vrai ! Dimanche à Villejuif [au festival Passer le Périph] on a fait une reprise de Jolene de Dolly Parton, avant tout parce que les paroles sont magnifiques. Dans la country, les paroles sont plus travaillées que dans la pop. Après, comme chez Spector, ce sont des histoires assez déchirantes. Il y a peu de mots, c’est assez simple, mais ce sont des histoires assez dures. Et quand on s’est rencontrés, c’est vers cela qu’on voulait aller. Aussi parce que MAI était un peu plus sophistiqué, parfois difficile à chanter.
JW : Pas forcément difficile à chanter, mais c’était contenu, avec des morceaux qui modulent tout le temps. Je ne pouvais pas m’exprimer vocalement. Même si c’était aussi très subtil et que j’ai beaucoup aimé faire cela. Je co-composais avec Frédéric Fortuny ; souvent j’avais une compo, et lui l’améliorait. Mais on ne s’écoutait pas assez.
JF : Alors que pour notre duo, et c’est ce que voulait Johanna à l’origine, ce sont des morceaux plus chantés, avec des voix qui montent. Donc cela nécessite des compositions plus simples, et plus puissantes aussi. C’est ce qu’on a essayé de faire.
G : C’est d’ailleurs ce que les Anglo-saxons arrivent plutôt bien à faire : des morceaux simples mais pas « bébêtes » !
JF : C’est l’esprit de Mets-moi dans ta valise : c’est une fille qui supplie son mec de la garder, même si c’est juste pour être « l’ombre de [son] ombre », comme dans la chanson de Brel. C’était vraiment la chanson point de départ de notre rencontre et de notre travail ensemble.
G : Pourquoi avoir contacté Jean au début ?
JW : Pour le côté musique 50’s et 60’s, et aussi pour son chant ! Il y a peu de gens qui chantent vraiment. Je me suis dit que Jean allait comprendre ce que je voulais faire.
JF : On a beaucoup d’influences en commun : la musique américaine des années 50-60 pour faire court.
JW : Jean m’a aussi fait découvrir la country, et moi je connais peut-être plus le jazz.
JF : Oui je n’y connaissais rien du tout en jazz !
B : Sur le chant, c’est vrai que l’on constate que vous vous éclatez vraiment sur scène. Par exemple, en ce qui concerne Jo, sa reprise de Charlie Rich, The Most Beautiful Girl, qu’elle a faite à la soirée de Cléa Vincent aux Trois baudets.
JF : C’est l’exemple typique de grande chanson américaine moitié soul, moitié country, que l’on aime beaucoup.
JW : A propos de soul, on pourrait aussi citer Wendy Rene.
B : Jean, tu évoques également souvent le Brill Building, et The Shanri-Las.
JF : Le Brill Building était une véritable usine à chansons pop. C’était un âge d’or en fait. Ça a donné Burt Bacharach, avec Hal David, Doc Pomus, Mort Shuman. Ça a donné de très grandes chansons populaires, mais exigeantes aussi. C’était à mi-chemin entre l’artisanat et l’industrie. C’était bien aussi de sortir du mythe de l’auteur compositeur, de l’artiste qui fait tout, et d’aller vers le travail en équipe. Je ne demande pas à une super chanteuse comme Dionne Warwick de faire ses chansons ; si Bacharach lui fait, c’est formidable ! Si tout le monde est au top dans la chaine de production, c’est parfait !
Pour les Shangri-Las, c’est plus le côté mélodramatique qui nous plait, avec carrément les bruits de moto quand le mec a un accident. On a aussi pas mal discuté des Ronettes, les groupes de filles comme ça. Souvent des chansons très déchirantes. Un peu ce qu’on avait en ligne de mire, et il faut dire aussi que ça ne se fait pas beaucoup en France, en tout cas pas ces temps-ci.
JW : Et je pense que ma voix s’adapte naturellement plutôt bien à ce genre…
B&G : Le chant est une priorité pour vous?
JF : On adore chanter. On chante tout le temps ! On aime beaucoup les Everly Bothers par exemple: ils ont vraiment un art de l’harmonie de voix qui est génial. On retrouve beaucoup cela aussi dans la country. Comme on est tous les deux capables de chanter des mélodies correctement, on travaille pas mal dans ce sens.
B&G : Quels sont les projets en cours ?
JF : On prévoit un album. On va enregistrer avant l’été, ou cet été. On a déjà enregistré des choses, ou mixé. On a beaucoup de chansons. Et on continue à en écrire.
JW : A mon avis, ce sera un EP pour la rentrée. C’est ce dont j’ai envie en tout cas !
JF : Pour les concerts, on sera au Gibus Café le 13 mai. A Londres le 30 mai. Je suis d’ailleurs certain que cela fonctionne mieux de chanter en français à l’étranger, c’est ça qu’il faut faire.
JW : C’est une question d’organisation et de volonté aussi, mais ce n’est pas si difficile de construire une tournée et de monter des concerts. Je l’avais fait à New York : j’avais dix concerts en dix jours !
JF : A Paris, on a plus la culture du cabaret, moins celle du café-concert. Mais cela permettrait aux musiciens qui ne jouent pas dans des salles qui paient au cachet réglementaire de s’améliorer. Les groupes seraient meilleurs. Après, en France l’artiste a un statut particulier, il est souvent mis sur un piédestal. C’est bien, les gens à l’étranger nous envient cela, mais il y a les mauvais côtés : ne pas voir la musique comme un job, simplement, par exemple.
B : Peut-être que le changement de mentalité peut venir d’initiatives comme celle de Marc Desse qui a organisé un festival pop [Passer le Périph’] ?
JW : Oui évidemment, et souvent les gros festivals commencent comme ça !
JF : S’il y avait plus d’événements intermédiaires pour pouvoir jouer, des petits clubs… Mais il y a malgré tout de bons côtés en France, la sécurité de l’intermittence en fait partie.
B : Vous connaissez le Pop In ?
JW : Oui on y a joué, et on va y rejouer !
G : Et des festivals prévus cet été ?
JW : Non. On a fait notre premier concert aux Trois Baudets fin décembre 2013, c’est là que tout s’est mis en place je pense. C’était une soirée consacrée à l’année 1966. Cléa Vincent a écouté nos morceaux, elle a adoré, et elle nous a proposé de faire la première partie. Et ensuite on a fait un ou deux concerts par mois. J’ai contacté des gens, et Jean m’a aidé pour contacter certaines personnes. Nous sommes allés à Bordeaux aussi, je n’avais pas envie de tourner en rond à Paris. Et j’aimerais que l’on s’organise une tournée nous-mêmes, qu’on contacte des petites salles. On n’a pas de prétention là-dessus, nous sommes prêts à jouer partout. C’est une question d’occasion aussi. J’aimerais bien avoir un tourneur qui nous trouverait des dates !
JF : On s’est surtout dit qu’on allait se débrouiller pour faire des concerts dans la mesure où on a des chansons et qu’on sait les chanter. On n’avait pas envie d’attendre d’avoir une direction, et un « projet » comme on dit dans le métier ! A la base on avait le fantasme d’un concert avec plein de musiciens, à la Sonny & Cher, mais vu que ce n’était pas possible, on a décidé de faire des concerts avec des boites à rythmes, une guitare, et les deux voix. Cela a presque tracé une direction pour nous.
by Baptiste et Gérald PETITJEAN
http://ljspoplife.magicrpm.com