Trois des membres de The Lanskies nous attendent pour leur dernière interview de la journée, dans le cadre de la promotion de leur deuxième LP « Hot Wave », sorti en janvier dernier. Nous avons découvert un groupe complètement habité par la musique, et au sein duquel des débats loin d’être artificiels permettent finalement de cerner leur univers, leurs influences, leurs sensibilités. C’est parti pour un long entretien avec un groupe de talent, et franchement adorable.
Gérald et Baptiste : Qui êtes-vous ? Comment sont nés The Lanskies ? Ça veut dire quoi The Lanskies ?
Florian von Kunssberg : The Lanskies, c’est un groupe formé de cinq personnes de générations assez différentes, puisqu’au sein du groupe l’âge varie entre la vingtaine et la quarantaine. Au départ, Marc et moi, guitaristes, avons créé nos maquettes. Et ensuite on a cherché des musiciens, un batteur, un bassiste, et on a voulu trouver un chanteur anglais. Je connaissais personnellement le frère de Lewis, qui est un super chanteur, avec lequel j’avais déjà travaillé, mais qui est reparti vivre en Angleterre au moment de la formation des Lanskies. Et en fait, j’ai rencontré Lewis à la sortie d’un bar, il est venu répéter avec nous le lendemain matin. Tout cela s’est passé en 2005, fin 2005. On est repartis avec trois ou quatre morceaux presque finis après une seule répèt’. Ensuite, tout est allé assez vite, surtout pour les concerts, de plus en plus gros, et puis le parcours habituel des tremplins, au Printemps de Bourges, aux Vieilles Charrues, etc. On s’est retrouvés à faire une vraie tournée, et puis à enregistrer un véritable album.
G & B : Dans quel type de formation vous étiez avant la création de The Lanskies ?
FvK : Je jouais dans le groupe Teaspoon, on avait signé un premier album chez Warner, et puis cela n’avait pas bien fonctionné, on végétait un peu. Alors, je me suis dit que je voulais faire de la musique pour le fun, et c’est dans cet esprit-là qu’avec Marc on a monté les maquettes des futurs morceaux de The Lanskies.
Lewis Evans : J’étais au lycée quand j’ai commencé à chanter pour The Lanskies. Auparavant, j’étais dans un groupe qui s’appelait The Jim Bob’s, et avec mon frère on avait créé The Dads.
FvK : The Lanskies, au départ, c’était comme une blague !
LE : Non, pour moi ce n’était pas une blague !
FvK : Oui, mais toi tu étais parti faire tes études aux Beaux-Arts, nous on taffait. A cette époque, le batteur, le guitariste et moi-même étions tous plus ou moins installés dans la vie. The Lanskies devait être un groupe pour faire des concerts le week-end, de temps en temps.
G & B : Et toi, Lewis, d’où te vient cette maîtrise parfaite du français ?
LE : Mes parents ont voulu partir en France quand j’avais douze ans. J’avais des parents un peu babos. Ils étaient flics, mais ont décidé d’arrêter ce métier : mon père a monté une résidence d’artistes. On a fait une sorte de tour de France en caravane, j’ai été déscolarisé pendant plus d’un an et demi, et ensuite mes parents ont trouvé une maison dans la Manche.
G & B : Comment comparer la pop britannique et la French Pop qui se développe depuis quelques années ?
LE : Je suis très pote avec les membres des groupes Aline et Granville. Ce sont des groupes que j’adore, des musiciens super sympas, hyper créatifs : ils arrivent à travailler le texte français, en donnant du sens, et à faire des morceaux, souvent dansants, qui font penser à la pop anglaise.
FvK : Tu as aussi Lescop, pour moi c’est typiquement frenchy. C’est un peu ce qui se faisait à l’époque de Taxi Girl.
LE : Oui enfin, ce n’est pas du recyclage non plus. Écoute Le Femme par exemple.
FvK : J’adore La Femme, c’est un groupe grandiose. Mais, personnellement, je n’ai pas cette culture-là. Je n’ai jamais cherché à faire du français, j’ai toujours cherché à faire de la musique anglaise, c’est la raison pour laquelle on voulait avoir un chanteur anglais.
LE : J’ai d’ailleurs une pression de malade sur le fait d’écrire une chanson en français. Une pression de quota de radio, de la part des labels aussi. Et sur le marché français, la langue française marchera mieux que l’anglais.
FvK : Les groupes dont on a parlé ont envie d’exprimer des choses dans leur langue, Lewis, lui, va s’exprimer plus naturellement dans sa langue.
LE : C’est par facilité.
FvK : Après, en français il y a un rapport au texte, aux mots, qui n’existe pas en anglais. Il y a tout le poids de la tradition de la littérature française et de la chanson à textes.
LE : On n’est pas un groupe prise de tête, on est un groupe qui fonce, un groupe de scène. Ceci dit, mes textes ont toujours un double sens.
G & B : Et vous n’allez pas jouer en Angleterre ?
LE : Evidemment, je rêverais d’aller jouer à Liverpool, là d’où je viens, devant ma famille. Mais en Angleterre, la musique constitue un marché considérable. C’est très compliqué de monter une tournée en Angleterre, ça coûte énormément d’argent. Les pays du continent européen sauf l’Allemagne peut-être, font du Royaume-Uni un rêve, dans le domaine de la musique pop. Or, il n’y a pas eu de grands groupes sortis de Liverpool, Newcastle ou Manchester depuis des années. Les raisons sont politiques : les conservateurs au pouvoir ont réduit considérablement les subventions aux associations culturelles, aux salles de répèt’, dans le nord de l’Angleterre. Tout l’argent se concentre à Londres, d’où la montée du Dubstep et de l’Emo, et l’apparition de groupes ou artistes très standardisés, très américanisés. Il n’y a plus d’énergie dans le nord de l’Angleterre. L’Europe continentale a vraiment acquis une identité musicale, grâce au Bureau Export, grâce à des festivals comme Les Transmusicales de Rennes, Eurosonic aux Pays-Bas, Reeperbahn en Allemagne.
FvK : Après, tu as aussi des groupes très lookés, comme The Temples, mais quand tu écoutes tu es déçu, parce que tu demandes ce qu’il y a derrière ce look.
LE : Et quand les Anglais pensent à la musique française, ils pensent à Eurotrash – émission de télé britannique, présentée par Jean-Paul Gaultier et Antoine de Caunes, ndlr. Cela prend du temps d’avoir les clés de compréhension pour accéder à certains pans de la musique française. Cela tient au texte : si tu ne comprends pas le texte, tu peux passer à côté. L’exemple typique : Katerine.
FvK : Mais pas Gainsbourg, la musique est top.
LE : Pour finir, en France, il y a aussi le statut d’intermittent du spectacle, qui permet réellement de dynamiser le paysage musical. Personnellement, je ne cherche pas la gloire, je cherche à vivre de ma musique.
G & B : Comment s’est déroulé le travail sur le dernier album ?
LE : On fait de la musique entre nous, chaque membre du groupe compose. C’est une vraie démocratie musicale !
Fvk : D’où plus d’un an et demi de travail. Six mois de maquettage, et d’histoires de label.
LE : Mais on n’a jamais arrêté de faire des concerts. La composition, ça peut se passer dans les chambres d’hôtel, au petit déjeuner chez Flo. Y’a des gens qui nous disent : « Mais vous tournez tout le temps ! ». Ben oui ! On n’a pas de stratégie de groupe, on est avant tout un groupe de scène. Personnellement, je déteste les étapes en studio d’enregistrement, je préfère la scène. Je n’ai jamais écouté notre album, c’est pour vous dire !
FvK : Concernant la composition, il y aussi un élément important, c’est que l’on se connaît très bien. On sait ce que les autres vont apporter à un morceau.
G & B : C’est quoi pour vous la Hot Wave ?
LE : A l’ origine c’est un journaliste anglais, pour le NME, qui avait écrit que notre musique était de la hot wave. Ensuite, les journalistes ont repris cette étiquette que nous n’avions pas du tout choisi nous-mêmes. J’ai malgré tout une définition de la Hot Wave : c’est la rencontre de deux guitaristes, en l’occurrence Flo, qui pratique une guitare britpop, et Marc, qui, en tant qu’ancien nouveau romantique, est plus influencé par le post-punk et la new wave. J’en fais donc une définition instrumentale, dans laquelle le chant n’intervient pas.
FvK : Le premier album était très influencé par la vague post-punk et new wave, qui est revenue au début et au milieu des années 2000. Je pense que le deuxième n’est pas de la new wave réorchestrée, cela va au-delà. Et la hot wave, que les journalistes ont pondue et dans laquelle ils nous ont rangés, ne nous convient pas tant que ça.
G & B: Et vos influences britpop ? Menswear, Elastica, Sleeper ?
G: Moi, la première fois que j’ai écouté vos chansons, ça m’a rappellé Menswear, en particulier le morceau Daydreamer.
FvK : Tous ces groupes-là, je les ai vus en concert à Reading dans les années 90. J’adore ! Menswear était vraiment un supe groupe.
G: Florian, on doit avoir le même âge. Menswear, c’est une histoire de jeunes quadras …
LE : Je connais aussi. Mais, c’est Flo qui a fait mon éducation musicale à ce niveau-là. Tu es un peu mon Obi Wan Kenobi. On a aussi des OVNIs, comme Bank Holiday. Si on était dans une grosse major, si toutes les planètes étaient alignés, ce morceau aurait été un énorme tube. A chaque fois qu’on le joue en concert, le public est surexcité. C’est un morceau qui figure sur le premier album, mais j’aimerais qu’il soit présent dans tous nos albums.
FvK : C’est un hymne. Malgré tout, je détestais jouer cette chanson sur scène jusqu’au dernier concert : on a décidé de le faire en milieu de set, au lieu de la faire à la fin. A la fin du concert, cela fait trop attendu. C’est comme si les gens venaient pour écouter un seul morceau.
Zool Vabret : Bon après, il faut quand même dire que pour ce concert, on a en effet joué Bank Holiday en cinquième, mais les gens étaient pas trop dedans, on l’a rejoué à la fin et là c’était l’explosion.
G & B : La britpop est-elle plus ou moins mise en avant sur le deuxième album ? On y trouve aussi des influences hip hop, comme sur Move It.
ZV : Elle est plus présente je pense. Et puis, il y a des éléments hip hop évidemment, sur la voix.
FvK : On a fait un voyage aux Etats-Unis et Lewis y a puisé des éléments hip hop.
LE : Y’a un côté hyper dance, avec des morceaux comme If You Join Us, et des chansons plus rock, presque punk, comme Sunny Rose, et du hip hop.
FvK : Je ne suis pas d’accord, je le trouve plus britpop cet album. Tu prends des morceaux comme Romeo, c’est dans la même veine que Fashion Week.
LE : Sur les chœurs, c’est beaucoup moins britpop que le précédent.
ZV : Mais il y en a quarante mille des chœurs ! Alors que dans le premier album, il n’y en avait pas.
LE : Le deuxième album est plus hip hop.
ZV : Oui enfin il y a deux chansons hip hop sur cet album, voire une et demi!
LE : Shall we agree to disagree ? Après, ce qu’il faut savoir c’est qu’en dehors de la scène, Flo, c’est un peu le Duc du groupe, c’est un peu notre Roi. Mais sur scène, c’est moi (rires). Là on n’est pas sur scène, donc j’essaie de le convaincre !
G & B : L’artiste ou groupe qui vous a donné envie de faire de la musique ?
FvK : Le groupe qui a déclenché mon envie de faire la musique, même s’il n’a pas beaucoup compté pour mes influences, c’est Dinosaur Jr. J’adorais un de leurs albums, il y a une petite fille qui fume une cigarette sur la pochette (Green Mind, ndlr). Et mon père me disait, quand il me voyait écouter ce genre de musique : « Ecoute euh… Bosse un peu quoi ! » (rires), mais mon père ne m’a jamais empêché de faire de la musique non plus. Et puis je viens d’une famille d’artistes : mon arrière-grand-père était un grand pianiste de musique classique, il s’appelait Wilhelm Kempff.
LE : C’est vrai qu’il avait six doigts… ?! (rires)
Fvk : Bref.
LE : En ce qui me concerne, il y a deux facteurs qui m’ont donné envie de faire de la musique. Tout d’abord, mon frère, qui jouait de la guitare devant moi. J’avais envie de faire comme lui, donc je me suis mis dans ses pas. Et le deuxième facteur c’est ma mère, qui était une ancienne groupie, elle traînait avec Devo ou Generation X, avant de rentrer dans la police. Mes parents organisaient aussi des soirées avec des musiciens, avec parfois Tony Wilson (le co-fondateur du label Factory Records, ndlr).
ZV : Le premier groupe qui m’a fait une grosse impression c’est un groupe de Caen, qui n’existe plus aujourd’hui, qui s’appelait les Monkey Beats. Deux semaines après les avoir vus en concert, j’avais acheté mon premier instrument, ma basse. J’ai fini par jouer avec eux quelques années plus tard. Avant cela, j’avais fait dix ans de piano, mais ça m’avait dégoûté. J’avais une prof violente.
FvK : Moi j’adorais ma prof de piano, elle était magnifique !
G & B : On va maintenant finir par un petit blind test. Le but est de nous dire ce que vous pensez des morceaux
The Smiths, Barbarism begins at home
FvK: Je connais mal cet album, Meat Is Murder”
Echo & The Bunnymen, Rescue
LE : J’ai cet album. Ecoute Eastern Wall de The Lanskies, c’est presqu’inspiré d’un morceau de ce groupe, Crocodiles.
FvK : Ian McCulloch, dans une interview (interview donnée aux Inrockuptibles,), avait dit qu’ils avaient 50 ans d’avance à l’époque et qu’ils en ont toujours une vingtaine aujourd’hui.
Aline, Teen Whistle
LE : C’est très beau, je ne connaissais pas ce morceau.
FvK : Super morceau. C’est super 80’s, faudra que j’écoute leur album en entier. Ça sonne très anglais !
Bloc Party, This Modern Love
ZV: Bloc Party, évidemment !
B: On a l’impression que Hot Wave est l’album que n’arrive plus à sortir Bloc Party.
FvK: C’est exactement ce que vient d’écrire le magazine Plugged à propos de Hot Wave.
Plus qu’une interview, cela a été un très bon moment d’échanges et de discussion avec des musiciens passionnés, très sympas, et faisant preuve de beaucoup d’humour.
En conclusion, Hot Wave est à écouter sans modération.
THE LANSKIES
dernier album : Hot Wave chez ZRP
Concert au Divan du monde à Paris le 25 mars 2014
by Baptiste et Gérald PETITJEAN
http://ljspoplife.magicrpm.com
Une réflexion sur « Musique : Interview du groupe THE LANSKIES pour l’album HOT WAVE – en concert au Divan du Monde le 25 mars »