C’est la rétrospective artistique de l’année que nous propose la Monnaie de Paris : Not Afraid of Love de Maurizio Cattelan.
Artiste à la retraite depuis 2011, l’Italien est connu pour des œuvres provocatrices, volontairement ou pas, et souvent autobiographiques.
En pénétrant dans cette exposition composée de 17 installations majeures, il faut oublier ses préjugés et se laisser envahir par un univers surréaliste.
Entre réflexion, humour et philosophie, le coeur d’USofParis bat pour le monde de Cattelan.
“Post-requiem show“
Après son ultime All, présentée au Guggenheim à New York, Maurizio Cattelan annonça sa retraite artistique.
Not Afraid of Love est donc la première grande rétro présentée en Europe depuis. Un parcours de 17 œuvres sélectionnées par l’artiste lui-même. Un défi, quand on connait sa révulsion à faire un choix.
A la base, je n’étais pas conquis par le travail de Maurizio Cattelan.
Souvenir de sculptures provocatrices, de reportages pas forcément éclairants sur son travail.
Il faut parfois reconnaître que l’on peut avoir des idées préconçues et qu’elles peuvent être levées. C’est donc sans grande conviction que je me rends à cette visite privée à la Monnaie de Paris.
Un éclairage bienvenu
Notre guide-conférencier, Mathieu, nous propose de jeter un œil nouveau sur Not Afraid of Love. Et comme tous les visiteurs ne pourront bénéficier de ces explications, je vous conseille grandement de lire les cartels des œuvres. Ils apportent un certaine
distanciation et offre une nouvelle appréhension de celles-ci.
Original ! La Monnaie de Paris a aussi proposé à des personnalités de donner leur interprétation, selon leur sensibilité, sur le travail de Cattelan :
Audrey Azoulay (Ministre de la Culture et de la Communication), Christian Boltanski, Charlotte Casiraghi, Christian Lacroix, Olivier Py, Elisabeth Quin, Guy Savoy, Oliviero Toscani… une quarantaine en tout.
Il y a donc toujours une double lecture dans le travail de Cattelan. Il faut passer la première impression de rejet ou de trouble, face à ces corps en souffrance, pour comprendre.
Pour faciliter cette adhésion à son travail, voici une mise en lumière de cinq œuvres de l’exposition.
Not Afraid of love : décryptage
Sans titre (La Donna Crocefissa) : premier contact
C’est la première installation que vous croiserez en arrivant à la Monnaie de Paris, avant même d’acheter votre ticket.
On peut voir dans cette femme crucifiée un hommage à Francesca Woodman. Cette photographe, établie à New York, avait l’habitude de se mettre en scène, tout comme Maurizio Cattelan. Ce dernier reprend ici une photo mythique de la photographe.
Deux éléments à noter : la sculpture est présentée dans sa caisse de transport : une façon signifiante de marquer le statut de création. Présentée hors de sa boite, elle prendrait une autre signification, se fondrait plus facilement dans le décor. Et la saleté visible sous les pieds renvoie aux peintures du Caravage. D’ailleurs, il fut longtemps décrié pour le réalisme de ses représentations.
La Nona Ora : une provocation ?
C’est bien l’une des deux pièces emblématiques qui commence véritablement l’exposition : le Pape Jean-Paul II écrasé par une météorite.
Depuis 1999, cette statue de cire a déchainé les passions.
Cattelan a réfuté l’anti-catholicisme de cette vision.
Le titre (La Neuvième Heure) est une référence à l’heure de la mort du Christ. L’ancien pape étant en habits sacerdotaux, on peut y voir un symbole de l’homme écrasé par sa charge, sa fonction. Et à travers la vie de Maurizio Cattelan on peut aussi y percevoir une image plus freudienne, celle de la mort du père.
Dans le miroir qui fait face à la sculpture, on découvre la “croix” de La Donna et les pattes du cheval de Novencento. Ces dernières affleurent tout juste sans passer devant la femme. Tout en minutie. On retrouve cette volonté de perspective dans toute l’exposition.
Sans titre, 2001 : d’un monde à l’autre
“Je préfère prendre des interprétations aux autres plutôt qu’en donner”
Cette phrase de Cattelan est vraiment révélatrice de son univers. Chacun prend ou trouve, ce qu’il veut dans son art. Il faut se l’approprier.
Et quand Cattelan se représente c’est toujours via une caricature, en plus petit.
Ici, il transperce réellement le sol du musée. Un collaborateur de la Monnaie de Paris a vraiment le double de Cattelan dans son bureau !
Face à cette sculpture en cire, un miroir (installé pour l’occasion), dans lequel l’artiste semble se regarder.
Il passe une tête dans l’établissement pour se voir dans le reflet et semble se dire “C’est bien moi qui suis exposé dans un musée ? ” C’est l’interprétation introspective.
Mais on peut aussi y voir une version politique. La statue étant réellement juchée sur une pyramide de livres, l’explication pourrait être : l’éducation conduit à la culture.
Un éclairage tout autre car Cattelan a toujours eu un rapport difficile avec l’école. Celui-ci est évoqué avec Charlie Don’t Surf, dans la salle suivante.
All : une résurgence du passé ?
Neuf gisants en marbre : une façon simple de décrire cette installation.
Sauf qu’il est rare de voir des gisants recouverts d’un voile. Est-ce un renvoi vers le passé de Cattelan qui a travaillé dans une morgue ?
Car, ici, il ne montre pas la mort, il la suggère avec ces silhouettes.
Et on est simplement stupéfait par ces drapés sculptés. Un hommage à la dextérité des artistes de Carrare d’où provient le marbre. Il y a dans ces neufs défunts une telle fluidité qui rend le travail de sculpture très aérien. Chaque pièce pesant 300 kg environ, elle semble comme dégagée de ce poids.
Choisi avec minutie – volontairement avec le minimum d’inclusions pour un rendu plus esthétique – ce marbre donne sa pleine uniformité à cette composition. Ces deux choix (uniformité et unicité) créent un problème de taille : si l’une des neufs sculptures est abimée ou cassée, il faut refaire la série en entier.
Him : la plus contestée !
Lui (Him) celui que l’on n’ose pas nommer : le mal absolu.
Lui est en prière, agenouillé de manière catholique.
Lui questionne l’acte de contrition : une doctrine fondamentale pour cette religion. Pourra-t-on lui pardonner un jour ?
L’autre interprétation que l’on peut faire avec cette statue de cire est se confronter à ses peurs, leur faire face pour les vaincre. Mathieu, notre guide, fait un parallèle surprenant avec les films d’horreur pour illustrer son propos. En effet, pour survivre à des monstres comme Freddy Krueger ou Candyman, le héros doit les affronter en face-à-face.
Reste une dernière question : peut-on représenter celui qui incarne le mal absolu ?
Cette sculpture est le prêt d’un collectionneur américain qui a fui l’Autriche durant la seconde guerre mondiale. Lui-même l’expose dans son salon. Une façon de clore le débat autour de cette question.
Une mise en scène en miroir
Maurizio Cattelan a vraiment mis un soin extrême dans la mise en scène de son travail.
Il y a toujours un jeu de perspective, un placement précis des pièces dans les salles.
Et parfois c’est très subtil, comme avec ces deux labradors qui semblent surveiller, chacun de son côté, une des deux portes de la salle.
Au final, cette rétrospective de Maurizio Cattelan est pleine de finesse et de clins d’œil.
Ce n’est pas pour cela que vous ne serez pas chahuter par cet ensemble de pièces que vous découvrirez. Vous pourrez donc être ému, énervé et même rire devant le travail de l’artiste italien.
LE PLUS : Parcourir Not Afraid of Love à la nuit tombée offre aussi une toute autre ambiance.
Privilégiez la nocturne du jeudi soir.
By Emmanuel
Not Afraid of Love
exposition de Maurizio Cattelan
jusqu’au 8 janvier 2017
Tous les jours de 11h à 19h
Nocturnes les jeudis jusqu’à 22h
Monnaie de Paris
11, quai Conty
75006 Paris