Beau doublé, Monsieur le Marquis (qu’il est long ce titre pour le web 😉) est la nouvelle expo de Sophie Calle au Musée de la Chasse et le Nature. Accompagnée de l’artiste Serena Carone, les deux femmes proposent aux visiteurs une déambulation très personnelle.
Un Beau doublé en clin d’œil à une publicité pour une cartouche de chasse dans les années 70.
Un Beau doublé pour la mise en parallèle de deux artistes.
Une rétrospective du travail de Sophie Calle inédite depuis 2003 !
Pour faciliter votre visite : les interventions de Sophie Calle sont toujours des objets existants (photos, objets personnels…) et côté Serena Carone, ses œuvres créées, façonnées, faites à la main.
Les fantômes du rez-de-chaussée
Dès le début, Sophie Calle a choisi de recouvrir d’un drap la pièce majeure du musée : le majestueux ours naturalisé, afin de la rendre fantomatique. Juxtaposé à cette photo, un texte.
Elle a recueilli les impressions des collaborateurs du musée face à cet ours : leurs premières impressions, leurs peurs. Des phrases drôles, décalées ou très personnelles.
Avant de poursuivre la visite, il faut savoir que Sophie Calle a perdu son père il y a deux ans. Son père était son premier spectateur, son premier critique, son premier admirateur.
Cette exposition est une invitation du Musée de la Chasse et de la Nature de collaborer avec Sophie Calle.
Alors en plein deuil, l’artiste-photographe a perdu l’envie de créer. Elle est sèche. “On est parti sans savoir où l’on irait ensemble” nous confie Sonia Voss, la commissaire d’exposition.
La suite du rez-de-chaussée est une ode à ce retour à la création.
Malgré les fantômes qui entourent Sophie Calle, elle a choisi de mettre en avant des bouts de vie à travers ces Histoires vraies. Un concept simple : une photo et un texte qui remet l’image dans son contexte.
Sophie Calle a toujours voulu se faire enterrer au cimetière Montparnasse. Maintenant, c’est totalement impossible faute de place. Alors, elle parcourt le monde à la recherche de l’endroit idéal. Serena Carone lui propose de créer son propre mausolée : Deuil pour deuil.
Autour d’un mannequin, des animaux naturalisés viennent complétés le tableau. Ces animaux viennent de la collection personnelle de Sophie Calle.
D’ailleurs, elle les baptise tous ces animaux avec le nom d’un de ses proches. Et sur ce mausolée, sont placés ceux avec lesquels elle souhaiterait être enterrée, des amis ou des membres de sa famille déjà morts.
Mais la mort n’est pas que physique. Elle peut être intellectuelle et Sophie Calle y a été confrontée plus qu’elle ne voulait.
Et avec autant d’œuvres créées pour cette exposition, Sophie Calle a bien retrouvé l’inspiration.
Les Histoires Vraies du premier étage
Pour entrer pleinement dans cette exposition, il faut lire.
Prendre le temps de comprendre les jeux de mise en scène entre Sophie Calle et Serena Carone.
Ce n’est pas moins de 38 Histoire Vraies qui sont disséminées à cet étage.
Ce dialogue entre les deux artistes trouve une osmose totale avec la Rêveuse.
Dans la main de la sculpture de Serena Carone, une clef du Bristol.
Chaque fois que Sophie Calle passait devant cet hôtel avec sa mère, celle-ci faisait un signe de croix et lui demandait de rester silencieuse car “C’est ici que j’ai perdu ma virginité“.
Dans une alcôve du Cabinet de Diane, la Pleureuse de Serena Carone absorbe notre attention.
De cette superbe sculpture diaphane tombent des larmes de façon continue. On profite de ce temps suspendu.
Sophie Calle profite aussi de cette exposition pour inventer des dispositifs iconoclastes comme Le langage de la chasse.
Dans cette installation audio de près de 3 minutes, elle énumère laconiquement toute une ribambelle de termes cynégétiques.
Chirurgical mais décalé.
Un peu plus loin, on est face à une autre création de Serena Carone qui trouve toute sa mesure dans ce Musée de la Chasse et de la Nature : Ours.
Cette faïence émaillée est construite par l’assemblage de multiples morceaux.
En effet, Serena Carone est une autodidacte de la création.
Cet ours a donc été fabriqué dans son atelier à l’aide d’un four de 40 cm x 40 cm. On imagine donc facilement la débauche de travail dont il a fait l’objet.
C’est le moment de s’arrêter sur cette artiste.
Ses créations s’insèrent dans les vitrines, sur le mobilier, sans carton, sans information.
Un vrai jeu de piste artistique.
Et on a été bluffé par son talent, sa maîtrise de la matière. Cette pieuvre en faïence de de toute beauté tant elle semble vivante. Prête à capturer ses proies.
C’est donc dans chaque coin de pièce, dans chaque vitrine que la vie (romancée) de Sophie Calle nous capte.
On adore cette anecdote Voyage en Californie où un jeune Américain souhaite passer la fin de son deuil amoureux dans le lit de l’artiste.
Étant alors en couple, elle envoie sa literie complète à cet inconnu (sommier, matelas, draps…)
Difficile de faire la synthèse complète de cet étage riche en découvertes et en moments de vie.
Les relations amoureuses du 2e étage
On accède à cet espace avec une des œuvres majeures de Sophie Calle : Suite vénitienne.
Dans les années 80, la photographe suivait des inconnu(e)s dans la rue, un plaisir de détective, les photographiant à leur insu.
Un soir, lors d’une réception, elle se retrouve face à face avec un de ces inconnus. Il lui fit part “d’un projet imminent de voyage à Venise. Je décidai alors de m’attacher à ses pas“.
Dans ces 3 vitrines, est condensé le résultat de ce projet. Photos volées et textes.
Pour se rapprocher de ce côté invasif de l’artiste, Sophie Calle a choisi de compiler les annonces, mythiques, du courrier du cœur du Chasseur Français.
Elle agglomère donc ces annonces parues entre 1985 et 2010 en un tourbillon de mots touchant, drôle et parfois décalé. Petit à petit, elle y insère aussi les annonces du Nouvel Observateur ainsi que des échanges enregistrés sur l’appli de rencontres Tinder.
En ressort comme un dictionnaire des échanges amoureux pour des gens en perte de repère relationnel, en proie au désarroi amoureux.
Il en est de même avec la dernière pièce de l’exposition.
Ici, Sophie Calle a choisi de mettre en relation certaines de ses photos avec des textes d’annonces ayant uniquement un vocabulaire proche de celui de la chasse.
Beau doublé, Monsieur le Marquis est une exposition déroutante dans la forme. Il faut prendre son temps lors de la visite pour pénétrer l’univers commun de Sophie Calle et Serena Carone.
Et, au final, vivre une parenthèse suspendue de création.
Beau doublé, Monsieur le Marquis
exposition de Sophie Calle
Artiste invitée : Serena Carone
jusqu’au 11 février 2017
Du mardi au dimanche de 11h à 18h
Nocturne le mercredi jusqu’à 21h30
Musée de la Chasse et de la Nature
62, Rue des archives
75003 PARIS