Ce qu’il y a d’étonnant avec le nouveau cirque c’est que l’on peut toujours être surpris par sa mise en forme et par les détours qu’il peut prendre.
La preuve avec le Cirque Le Roux. A Bobino, le quatuor comble le public avec son spectacle The Elephant in the Room. Entre théâtre et performances scéniques, on rigole, on est attendri et on frissonne d’effroi mais aussi de surprise.
Automne 1937, au mariage de Miss Betty, le mari, l’amant et le majordome font irruption dans la pièce où celle-ci, était venue s’isoler. On sent de suite qu’il y a une ambiguïté avec la belle. Une histoire trouble va se dérouler devant nos yeux émerveillés et parfois interloqués.
Le Cirque Le Roux crée une fable, sous forme de comédie dramatique, qui se fonde sur les codes du cinéma du muet. Générique, dialogues entre personnages (pas très verbaux mais génialement bruités) et aussi la mise en scène : tout débute comme un film du siècle dernier. On y retrouve aussi ce comique de situation cher à Charlie Chaplin et Buster Keaton.
Spectacle en deux temps
Dans la première partie, très burlesque, les acrobaties restent bon enfant. Entre grandes glissades, petites cabrioles et quelques portées simples – mais tout de même osées – le spectacle semble mettre du temps à s’installer, à rentrer dans le vif. Toutefois, ces quelques minutes volontairement déstabilisantes mettent l’eau à la bouche.
Il faut donc attendre le deuxième acte de l’histoire pour totalement tomber dans l’univers et la poésie du Cirque Le Roux.
Le point de bascule : l’arrivée sur scène de nos quatre compères en habits de nuit, version années 30.
C’est la scène la plus complexe au niveau de la technicité, la plus chargée d’adrénaline et de frissons, de peur d’un ratage acrobatique. John Barick (Yannick Thomas), le colosse de l’équipe fait des prouesses dans les portées. Miss Betty (Lolita Costet) virevolte entre ses différents partenaires tel un fétu de paille. Angoisse et prouesses.
Deux scènes en forme d’apothéose
Pour autant, ce deuxième acte offre encore un autre changement d’univers visuel et narratif.
A la technique pure, on ajoute la poésie. Et c’est à ce moment que le spectacle offre sa première claque.
Le duo entre Monsieur Bonchon et Mister Chance (Grégory Arsenal et Philip Rosenberg) nous offre un duo magistral et sensuel. Des figures instables mais tenues pour des corps en totale harmonie. Un moment de pure magie scénique éclairé simplement par des lustres tombés du ciel.
L’autre moment d’apothéose : la scène finale. Sur une musique d’Ennio Morricone – à glacer le sang ou à pleurer d’émotion – toute la tension du spectacle explose en un superbe feu d’artifice de prouesses physiques et de jeux d’équilibre.
Le Cirque Le Roux arrive à jouer sur ce thème musical, ultra connu et ultra référencé, d’une telle manière que son art se sublime. Entre drame et volupté, émotion et envoutement. C’est intense et foudroyant.
Le temps de nous remettre de nos émotions, nous pénétrons dans les loges pour poser quelques questions à deux des membres de la troupe : Philip et Lolita.
C’est l’occasion d’en savoir plus sur les coulisses de ce spectacle, obtenir quelques anecdotes mais aussi faire un point sur leur carrière à Broadway.
Cirque Le Roux : Interview-selfie
USofParis : Philip, 3 adjectifs pour décrire ton partenaire Yannick ?
Philip : Attentionné, bon vivant et légèrement maladroit.
Lolita, 3 adjectifs pour décrire Grégory ?
Lolita : Énergétique, organisé et drôle, vraiment drôle.
Comment fait-on pour toujours prendre du plaisir à jouer un spectacle après un an et demi ?
Philip : Pour nous, surtout avec ce spectacle où il y a plein de couches, c’est l’intégration du jeu d’acteur avec le cirque qui est nouveau. Le cirque traditionnel où tu ne fais que des acrobaties, on en a déjà fait beaucoup. Il y a toujours le moment où te dis « oui je sais quoi faire ! », ça devient plus une routine.
Mais avec Elephant in the Room, ce qui est intéressant c’est l’échange avec le public et aussi entre nous sur scène. Ça change chaque jour au niveau des émotions, de nos humeurs. C’est vraiment une surprise chaque soir.
Lolita : Et puis on change tout le temps. On revoie toujours des petits détails, il y a toujours des choses nouvelles. On a aussi des moments où l’on est libre de faire ce que l’on veut.
Il y en a un qui surprend l’autre car il est plus motivé ce soir-là, il fait des blagues aux autres…
Qu’est-ce qui a changé depuis la création ?
Lolita : Beaucoup de choses ! C’était très long au début. Il a fallu couper.
Philip : Le spectacle durait 1h45 au début. On a fait une avant-première publique justement pour voir ce qui accrochait et ce qui accrochait moins. Et à partir de cette énorme base-là, on a réduit et réduit.
Lolita : Mon solo du début a changé sept fois, à peu près. On a essayé différentes choses pour voir comment ça allait pour le public. Le fil conducteur, le poison, n’était pas présent au début, par exemple.
Un conseil, de votre metteuse en scène a-t-il été essentiel pour vous préparer à ce spectacle ?
Philip : De trouver le plaisir dans tout. D’abord, si tu trouves drôle ce que tu fais sur scène et que tes compagnons aussi, c’est sûr que ça va se transmettre au public.
Et elle disait aussi tout le temps : « Vous n’êtes pas des mimes ! Même si vous ne parlez pas, lâchez des sons, vivez sur scène !»
Lolita : Quand on fait du cirque, on part toujours avec beaucoup d’énergie quand on rentre sur scène. On est hyper stressé, on est à bloc.
Et justement, Charlotte nous répétait de faire l’opposé. Pour commencer au théâtre, il faut, au contraire, être relax et prêt à tout recevoir.
Quand on a réussi, ça a changé considérablement. Maintenant, on pose le début, on peut incarner les personnages.
Et comment vous avez fait pour vous calmer ?
Lolita : C’est du psychique. Moi ça va. Mais Yannick, je sais qu’il fait encore le tigre en cage.
Philip : Moi, c’est les cinq minutes juste avant de rentrer sur scène que je suis encore en train de penser à pleins de trucs, un peu crispé, stressé. Et j’ai l’impression que quand je rentre sur scène toute cette pression se relâche. Je suis plus détendu.
Comment prend-on soin du son corps lors d’une tournée et qu’on change de salle tous les soirs ?
Lolita : On est différent là-dessus.
Philip : Moi je suis un peu plus tendu. Et pour être souple, il faut que je m’étire, que je m’étire, surtout le dos, avant le spectacle mais aussi après. Je trouve le bon équilibre comme ça.
Lolita : Honnêtement, en tournée ce n’est pas toujours facile. Ici à Bobino, on a un échauffement avant le spectacle.
Essayer de me coucher pas trop tard pour me lever tôt et avoir une petit muscu tous les jours. Ne pas trop fumer. Si je me couche tard et qu’on fait des réunions : boire le moins possible d’alcool. Parce que les tournées c’est aussi : du monde qui vient nous voir, des réunions. Ce n’est pas forcément faire la fête mais c’est simplement discuter. Pour moi, c’est vraiment d’essayer de ne pas avoir trop de fatigue, d’avoir un moment de musculation et de stretching. Et bien manger !
Philip : Et un bon lit aussi !
Lolita : Un bon matelas c’est vrai. Les tournées avec un mauvais matelas, on a beaucoup de mal à s’en remettre.
Philip : Le matin, quand tu sors comme un bloc, oh non !
Est-ce qu’il arrive que le corps soit ingrat, qu’à un moment il dise stop ?
Philip : Ça arrive vraiment très très rarement.
Lolita : Mais ça arrive des fois. Alors c’est massage, douche chaude, ostéopathe. Et s’il y a des réunions, on ne les fait pas et on va directement se coucher.
Une anecdote sur scène : quelque chose d’inhabituel, de drôle, ou un ratage ?
Lolita : Dans la scène où je dois lui dire qu’il est ridicule, un soir Philip a écrasé le bout de ma chaussure. Du coup, mon pied est sorti de la chaussure, mais la sangle est restée autour de la cheville. Il a donc fallu que je fasse toute la scène où il prend mon soutien-gorge, le reprend et passe par la porte avec une chaussure en moins. Ça a donné quelque chose d’hyper drôle.
Philip : J’en ai une un peu plus trash. On jouait à Salzbourg. Au moment où Grégory tombe de scène, le plateau de service. Au lieu de tomber à côté de lui, il a rebondit et il est arrivé sur son front et l’a coupé. Il est remonté sur scène sans s’en rendre compte, mais nous si.
Lolita : Il saignait et avec la transpiration ça dégoulinait.
Philip : Du coup, Lolita a dit « Bouchon, sort ! Dehors ! »
Lolita : Et lui, il est resté dos au public, qui n’a rien vu du coup. Il a fait sa cascade. Une fois au sol il a tourné la tête de l’autre côté et j’ai pu le faire sortir.
Philip : Après, il est quand même rentré avec un énorme pansement sur le front qui était bien dans son personnage.
Qui a eu l’idée de cette très scène assez érotique en clair obscur ?
Philip : En fait, ça a commencé avec les lampes. Après, on les a fait descendre et on a commencé à faire des acrobaties en-dessous. On avait déjà les photos dans les cadres derrière. A un moment Charlotte Saliou, la metteuse en scène, a dit « Allez, on va essayer de pousser ça. Bouchon, tu rentres avec un plateau de fruits de 3 mètres. On pousse ça plus dans la décadence » C’est parti de nous et c’est elle qui a vraiment transformé ça.
Et une anecdote avec un spectateur, des mots échangés après le spectacle qui ont pu vous toucher ?
Lolita : Dans un échange avec des enfants après un spectacle – et c’est pour moi la meilleure question qu’on m’ait posée – il y a un qui a dit « J’ai une question pour Miss Betty. J’aimerais savoir quel produit tu mets dans ta bouche pour pouvoir rire comme ça »
Quand j’ai dit « En fait, je ne mets rien du tout », j’ai vu que j’étais un avenger pour lui. Ça m’a vraiment fait rire.
Il y a aussi un papy à Salzbourg qui était là où on buvait un verre. Il nous a dit qu’il allait repartir à sa voiture sans sa cane tellement le spectacle l’avait bouleversé. Il a pleuré à la fin du spectacle. Et ce soir-là, j’ai vraiment pris conscience qu’on fait passer des sentiments et que ça peut changer quelque chose chez un spectateur. Ça m’a vraiment fait du bien.
La plus belle leçon que vous ayez apprise en vous produisant à Broadway ?
Philip : C’est de faire attention aux détails. Il y a une équipe de 200 personnes par spectacle mais chacune a vraiment un œil pour garder son boulot toujours aussi précis. Les accessoires, la musique, les déplacements sur scène. Tout est vraiment travaillé. Tout est pensé. Et du coup, quand on a décidé de faire ce spectacle, ça m’a un peu inspiré de dire « Est-ce qu’on a poussé ça assez loin ? Est-ce qu’on a pensé à chaque détail ? Est-ce que ce truc dans le décor est-ce que ça sert à quelque chose ? Pourquoi il est là ? »
Lolita : Il y a plein d’autres choses, c’est tellement vaste Broadway. Mais c’est une des choses que j’ai retenue aussi.
Philip : J’ai appris aussi : il faut toujours penser « Qu’est-ce qui est le mieux pour le spectacle ? » Même si tu as mis beaucoup d’argent, beaucoup de temps dans quelque chose, et même si tu as envie que ça marche mais que ça ne sert pas le spectacle : mets ton égo de côté pour faire ce qui est le mieux. On enlève, on ajoute, mais penser comme une personne extérieure.
Lolita : Par exemple, dans le spectacle on devait avoir une armure.
Au lieu de sortir par le bureau, Miss Betty devait être cachée dedans et l’armure de marcher. On trouvait ça génial, et ça l’était. On a acheté une armure – très chère et avec notre argent – au début du spectacle et ça n’a jamais fonctionné.
Philip : On a essayé de couper l’armure pour qu’elle rentre dedans. C’était un métal vraiment pas solide. Et quand on a commencé à couper, le métal partait morceau par morceau.
Lolita : Notre argent partait en lambeaux et donc on s’est dit « Tant pis ! ».
The Elephant in the Room
Cirque le Roux
Mise en scène : Charlotte Saliou
Avec : Lolita Costet, Yannick Thomas, Philip Rosenberg et Grégory Arsenal
du 19 décembre 2017 au 7 janvier 2018
Théâtre Bobino
14-20, rue de la Gaîté
75014 Paris
site officiel : cirqueleroux.com