Sujets brûlants de notre actualité, le cycle Récits de femmes du Théâtre La Croisée des Chemins aborde le sexisme et le harcèlement. Face à une conscientisation de ce fléau, le Collectif Campe a fait le choix de libérer la voix des femmes par une approche artistique. Sans être dans la revendication ou le militantisme, la démarche réflexive de Et j’ai pensé à la révolte incite au dialogue.
Sur scène, trois personnages nous attendent. Ils représentent chacun une femme avec son histoire, sa personnalité et son caractère unique. Cependant, un lien les unit. En effet, elles ont toutes subi à un moment une violence de la part d’hommes. Ces agressions, quel que soit leur degré de gravité, résonnent en elles depuis trop longtemps.
Alors, devant nous, tout en pudeur, elles se confient. Le paralangage est fort et les mots, entrecoupés de silences. Les récits dévoilent les sentiments ressentis : l’isolement, la honte, la culpabilité, la déshumanisation et l’indifférence d’autrui.
L’interprétation des comédiens est impressionnante. Nous ressentons terriblement ce que les hésitations masquent ainsi que l’indescriptible sensation de vide provoquée par ces situations…
Subtilement, une transition est réalisée vers un registre semblant plus léger. Par le biais du jeu, les personnages exposent avec finesse le sexisme disséminé un peu partout. Saurez-vous par exemple me dire quel politicien a dit : «Un ministère de la Condition féminine ? Et pourquoi pas un sous-secrétariat du tricot ? »
En réalité, avec la vision anthropologique amenée sur des témoignages difficiles autour d’un théâtre documentaire, le Collectif Campe n’a pas seulement donné la parole aux femmes. En effet, la portée va plus loin. Grâce à la surprise des derniers instants sur scène, nous prenons pleinement conscience du chemin restant à parcourir. Nous avons alors envie d’échanger, de débattre et d’ouvrir la discussion.
C’est ainsi qu’en sortant, autour d’un verre, nous avons rejoint la révolte…
Se retrouver autour d’une table avec des amis, c’est partager un moment d’éternité avec ceux que nous aimons. Du moins, c’est ce que nous croyons… Entrée plat dessert explore les relations entre deux couples autour d’un dîner où tout va basculer. Au Théâtre la Croisée des Chemins, les non-dits, la trahison, le manque de loyauté et les incompréhensions forment le cocktail détonant d’une touchante et manifeste comédie humaine.
À notre entrée en salle, Pierre est déjà là. Il feuillette un magazine et attend, nerveux. L’écho de Barbara et Brel résonne dans le salon/salle à manger à l’ambiance soulagienne. C’est alors qu’arrive son amie de longue date, Lise. Ensemble, ils partagent un lourd secret concernant Pierre. C’est d’ailleurs pour s’en décharger qu’est organisée cette soirée.
Ils attendent Margaux et Arthur, leurs conjoints respectifs. Par chance, ils s’entendent très bien ! Une connivence s’est ainsi spontanément installée entre eux pour s’allier contre les deux amis d’enfance. Du reste, avec le temps, cette connexion s’est petit à petit transformée en affection puis en amour. C’est pour cette raison que, de concert, ils se sont mis d’accord pour dévoiler au grand jour leur amour au cours de ce dîner tombant à pic !
Nous vous laissons imaginer l’animosité découlant de ces situations ! Néanmoins, on ne tombe jamais dans la facilité. Les personnages alternent alors avec habileté un panel d’émotions allant de la colère à l’abattement ou à la consternation. C’est pourquoi le suspense est excellemment maîtrisé jusqu’au saisissant dénouement final…
Une parenthèse intense
Grâce à l’écriture sensible et pudique d’Alexis Bloch, sublimée par une mise en scène délicate au charme indéniable, les mots et les maux vibrent. De surcroît, la complicité naturelle et l’échange des comédiens vous transportent dans ce salon. Vous avez envie d’échanger avec eux ? Ils le font avec plaisir après la représentation !
Ce lundi soir, l’équipe d’UsOfParis a rdv avec jeune talent comique, BenH, qui sévit actuellement au Sentier des Halles. Durant une heure, ce hobbit moderne partage avec le public les affres de sa vie d’adulte croisée avec les désillusions de ses rêves d’enfance. Balancé comme cela, ça peut paraitre triste, mais BenH transforme ce mur qu’est le passage d’un monde adolescent à l’âge adulte en une fresque jouissive. Avec des salves de rires sans retenue, il est aussi touchant que trash, torpilleur que fin. Il a tout d’un grand !
En fait, dès les premières minutes de son one man, BenH accroche le gamin qui est resté au fond de nous, celui qui s’est laissé envahir par le quotidien mais que parfois nous avons envie de laisser exulter.
Oui, même adulte, on a envie de porter ce t-shirt Mickey, le même celui que BenH arbore sur scène.
Oui, on a encore envie de croire aux licornes qui transportent Michel Sardou sur leur dos, avec un fond de Connemara.
Oui, on aimerait retrouver cette innocence de l’enfance que l’on a perdue, parfois trop vite, parfois abruptement.
Et même si c’est ce que semble sous-tendre le spectacle de BenH, notre hobbit moderne propose de lui-même un autre chemin de réflexion.
En effet, avant de rejeter les autres, il faut s’accepter soi-même. Et c’est bien là le plus difficile.
Entre blagues potaches, humour noir, trash et beaux moments de poésie, BenH nous emporte dans son monde fantasmé de façon magistrale. Avec des pirouettes et des postures qui ne permettent pas concrètement de démêler le vrai du faux dans son conte humoristique. La seule réelle certitude : le garçon n’a pas froid aux yeux, ni de poils au torse.
Bon à savoir : si tu t’appelles Mathilde, tu auras droit à un supplément d’attentions. Chanceuse !
Et parents, lorsque que votre ado vous dira “Je veux aller voir la maison d’Anne Frank”, ne pensez pas qu’il a été touché par une illumination humaniste… c’est simplement qu’il veut tester ses capacités d’imagination lors d’un voyage initiatique. BenH vous relèvera tous les détails en temps voulu.
Il y a des soirées vraiment foireuses que l’on préfère voir sur scène plutôt que les vivre IRL (in real life). C’est le cas avec Bella Figura, la nouvelle pièce de Yasmina Reza. Une série de contrariétés, de malentendus et de séquences décalées et vraiment drôles.
Ce samedi soir au Théâtre du Rond-Point, la salle est assez âgée : étonnant ! Nous avons autour de nous plus un public de matinée du dimanche que de samedi 21h. Bref, les rires sont surtout de notre côté. Je me surprends parfois à rire seul.
Le premier couple en scène est tellement réaliste dans ses contradictions, ses tentatives d’étirer une relation déjà bancale ne serait-ce que parce qu’elle est extra-conjugale. Boris est un chef d’entreprise qui a une femme à la maison – c’est cette dernière qui a suggéré le resto de ce soir. Andréa est une pharmacienne vivant seule avec sa fille.
Andréa hésite à aller au resto ce soir. Elle titille la jalousie de son amant, en suggérant qu’elle puisse avoir une aventure avec un plus jeune qu’elle. Elle est légère, vive, provocante aussi. Elle prend un peu trop de petites pilules. Et ne sait pas trop réduire son flux continu de parole.
Et puis, drôle d’endroit pour une rencontre : le couple en croise un autre, accompagné de leur belle-mère, sur le parking, après un léger accident.
Va débuter un échange aussi décalé, déconcertant que jubilatoire.
Bella Figura surprend par cette tranche de vie qui scrute les relations amoureuse, amicale et familiale. Le constat pourrait être dérangeant pour certains. Pour nous, c’est délicieusement désabusé. Emmanuelle Devos rayonne, ses chaussures rouges à talon lui vont si bien. Ses partenaires de jeu sont tout aussi excellents notamment les deux hommes : Louis-Do de Lencquesaing et Micha Lescot. On a eu un coup de coeur aussi pour la mamie un peu folle, Josiane Stoléru. Et le plaisir de retrouver Camille Japy au théâtre.
BONUS
” Oh non !” c’est le cri du cœur d’une spectatrice face à une scène… de la vie : un des personnages baissant sa culotte pour se soulager sur le trône. Forcément, on a ri ! 🙂
Bella Figura
texte et mise en scène : Yasmina Reza
avec : Emmanuelle Devos, Camille Japy, Louis-Do de Lencquesaing, Micha Lescot, Josiane Stoléru
Kamel le magicien bluffe chaque soir au théâtre Bobino, à Paris ! Close up, mentalisme et grande illusion, Kamel est vraiment plus fort que nous ! La preuve avec son spectacle conçu avec Don Wayne qui reprend du 8 février au 29 avril 2018.
Percer les secrets de Kamel le Magicien
Bluffée par son show à l’Apollo Théâtre en 2015 et agacée par sa facilité à se jouer de nous avec toute la gentillesse et la bienveillance qui le caractérise, c’est déterminée à percer ses secrets que je suis allée voir le nouveau spectacle de Kamel ! Accompagné par mon ami, je lui lance le défi de trouver les subterfuges du magicien.
Ouverture de rideau sur un écran qui évoque les 5 sens pour se terminer sur l’illusion. Puis Kamel arrive sur scène, décontracté, énergique et sourire aux lèvres. Toujours aussi avenant et sympathique, il commence un show que nous ne sommes pas prêts d’oublier. En effet, pour ce nouveau spectacle, Kamel a collaboré avec Don Wayne, l’un des plus grands consultants en magie qui a travaillé plus de 20 ans avec le célèbre David Copperfield.
Adultes et enfants conquis
Le public est toujours aussi hétérogène. Les enfants sont très nombreux à venir voir l’artiste. Comme moi, ils sont impatients de découvrir les nouveaux tours concoctés par l’illusionniste. Et c’est sans surprise que la magie opère encore une fois.
Nous retrouvons certains tours comme le tirage du loto par des infos données par le public, la téléportation d’un hamster, de la neige en papier. Ultra concentrée, je me focalise sur l’artiste, convaincue que je vais enfin découvrir l’astuce mais rien à faire, Kamel est vraiment très doué.
Tous les talents !
Les ingrédients qui ont fait le succès de son dernier spectacle sont toujours au rendez-vous : générosité, complicité, interaction avec son public, notamment les enfants, tours de magie et illusion, danse effrénée dont la fin me laissera perplexe ! Il nous réserve quelques grandes surprises que je me garderai de révéler. Nous oscillons entre admiration et questionnement. Ses tours de cartes sont toujours aussi époustouflants. Kamel est vraiment impressionnant dans ce domaine qui aura d’ailleurs fait son succès lors de son passage à Canal +.
Petits et grands sont conquis par les prouesses du magicien et applaudissent avec entrain à la fin de chaque tour. Les enfants choisis au hasard par Kamel participent avec bonne humeur et complicité. L’artiste est talentueux et généreux, il n’y a pas de doute.
Nous repartons conquis, des questions plein la tête. Kamel est définitivement plus fort que nous !
Des mecs qui se la pètent, et qui ne finissent plus de s’auto-apprécier, on en croise suffisamment dans les vernissages, aux défilés ou en Uber. Alors passer une heure avec un spécimen – en l’occurence Gérémy Crédeville alias G, au Théâtre du Marais – , en tête-à-tête et sans aucune perspective de sortie, c’est plutôt flippant !
Ce bogosse originaire du Nord et qui porte fièrement costume-cravate-chemise entre sur scène sans accompagnement musical à la différence de Foresti, Elmaleh et bien d’autres humoristes. Sa seule arrivée en pleine lumière suffit à la satisfaction du public, et de la sienne. Son tour de chauffe générale est définitivement dû à l’attraction physique qu’il suscite du premier au dernier rang.
Amour de soi, assurance, Gérémy Crédeville a usé, sans réel effort, des bienfaits de dame nature à toutes les étapes de sa vie.
Et pour cela, le garçon se met à l’aise en posant la veste.
Ça commence par sa naissance, le gynéco ne s’en remet toujours pas mais aussi Bétune tout entier. Ça se poursuit avec son coloc homo. On frissonne à l’idée des horreurs machistes et clichés qui vont suivre. Mais le bogosse retourne la situation et construit un sketch totalement à contre-emploi sur thème de l’instant.
A ce stade, la salle et les premiers rangs sont irrémédiablement attirés par l’assurance indécente de ce garçon et l’appel du téton hardi qui pointe sous sa chemise, largement assumé.
Aucune mention, en revanche, d’une quelconque aventure en salle de sport, alors qu’il a le pec ferme comme une cuisse de poulet.
Qu’est-ce qui fait la différence ?
Le goût immodéré de Gérémy Crédeville pour le trash. Et il en balance des images qui claquent à la gueule comme le coup du pirate. Un coup qui va rester dans les annales du one man show.
Le Nord Pas de Calais n’est pas en reste et reçoit des trombes, la carte postale prend définitivement l’eau.
Et rien n’échappe au garçon, de l’applaudissement “moustique”au pied d’un spectateur sur sa scène. Le chaleureux Théâtre des Blancs Manteaux se prend quelques scuds bien relevés alors que le régisseur agonise de ceux qui lui sont destinés.
Et pour autant, en sortant, aucune envie de casser la gueule de G sur le trottoir, ni même de lui faire bouffer ses flyers gentiment tendus.
Le charme opère progressivement. Il faut dire qu’il a un autre talent qui emporte immanquablement le public : son indéniable qualité de composition musicale.
BONUS : il est tellement bogosse qu’on la confondu à une soirée VIP avec un Dieu du Stade ! #histoirevraie
Gérémy Crédeville Parfait et encore je suis modeste !
L’actualité de notre monde est régulièrement touchée par la violence de l’être humain au nom d’idéaux religieux. Régis Vlachos soulève en toute perspicacité les véritables questions sur le rapport qu’entretient l’Homme avec ses croyances. Dieu est mort. Et moi non plus j’me sens pas très bien ! en est une riposte lucide et éclairée. De ce fait, c’est un cri du cœur entre révolte, espérance et humour habile que vous retrouvez au Théâtre de la Contrescarpe.
Un petit garçon essaie de grandir mais il ne comprend pas le comportement des personnes autour de lui. Il existe un décalage important entre ce qu’il voit et ce qu’on lui inculque. Il réfléchit beaucoup, peut-être trop, trop loin, mais c’est ainsi. En grandissant, il en arrive à la conclusion que Dieu est mort.
Puis, devenu adulte, il décide de régler ses comptes. Pour l’aider dans ce dessein, le souvenir de sa sœur partie trop tôt l’accompagne. Elle lui donne ainsi le courage de se battre et d’affronter le monde.
Et en effet, tout y passe ! L’éducation religieuse de son enfance, sa mère, le psy, les incompréhensions avec la hiérarchie mais également l’élection de Mitterrand, Michel Sardou (hilarant !), un cours de philosophie qui dégénère…
Une verve flamboyante
Alors, un joyeux bordel se met en place devant nous avec des marionnettes-prophètes, un aquarium, un coffre… Le spectateur averti reconnaîtra ici et là des citations philosophiques ou poétiques subtilement mêlées à l’ensemble. Nous sommes happés par l’énergie, le jeu scénique et le style déployé. Beaucoup de dérision et d’audace émanent de l’interprétation des personnages.
Au final, nous rigolons beaucoup malgré la réflexion induite par la pièce. C’est d’ailleurs ce qu’il faut retenir. En étant omniprésent, le rire donne toute la force au spectacle, mais également à la vie…
Jérémy Lorca s’installe cette fin d’année à l’Alhambra. Un succès ne venant jamais seul son livre Chercher le garçon va avoir droit à une adaptation ciné. Il fait de la radio avec Anne Roumanoff pour Ça pique mais c’est bon ! Ce garçon Bon à marierest aussi déluré qu’attachant, naïf que fin observateur de nos mœurs.
Pas évident de naître à Avion, proche du Pas de Calais. C’est pas nous qui le disons, c’est Jérémy Lorca. Rajoutez un père italien et une mère polonaise : le cocktail pourrait être explosif.
D’autant que son cœur le porte plus vers Céline Dion et les garçons, que Booba et les filles en mini-short.
Généreux, il offre quelques moments de sa vie aussi drôles que désespérés : le 1er coup de foudre en boite, l’amour qui dure 3 ans, la séparation, les “dates”… La philosophie hallucinée de sa pote de boulot… la meilleure manière de faire fuir vos voisins.
Alizée, Beyoncé, Grindr, coach sportif, Smic, vacances au Maroc : les sujets sont variés et l’enchaînement est très bien mené.
Jérémy cède parfois à quelques facilités que l’on voit arriver mais il ne tombe pas, pour autant, dans l’enfilage de perles-clichés qui font bailler, bien au contraire.
Bon à marierest un one-man-show tendre et malicieux, une leçon d’optimisme. Pourtant ce jeune talent de la scène serait toujours célibataire.
Seul bémol : la chemise manches courtes à pois. C’est le printemps ok, mais c’est pas fashion du tout ! 🙂
Tout chemin menant à la liberté a un prix. La putain du dessus, c’est l’histoire d’une femme, Erato, qui l’apprend à ses dépens. Alors qu’arrive l’heure de l’insubordination après des années de souffrances et de violences, son mari décède. S’ensuit alors progressivement son émancipation avec énergie et humour piquant. Le Théâtre de la Huchette nous fait vivre la rébellion et l’épanouissement d’une femme affirmant simplement la juste place qu’elle mérite.
Erato nous accueille tout de noir vêtue, avec mantille, dans son appartement sens dessus dessous. Elle revient des funérailles de son époux, policier corrompu jusqu’à la moelle. Mais loin d’être peinée, un sentiment de soulagement semble se dégager de son être. Alors, en toute intimité, elle décide de nous dévoiler son vécu.
Des différents moments ponctuant sa vie semblent émaner un sentiment récurrent : sa soumission à l’homme. En effet, toute sa vie durant, ses choix ne furent pas pris en considération voire dénigrés. Par la suite, timidement et inconsciemment, Erato s’octroie quelques plaisirs égoïstes. Elle se surprend à être troublée par un autre homme que son mari, à se préoccuper de migrants ou à envier sa nouvelle voisine du dessus…
Puis vint l’ultime humiliation qu’Erato ne peut supporter. À partir de ce moment, rien ne sera plus comme avant. Elle fulmine d’abord pour finir par exploser avec l’intensité propre à ceux qui n’ont plus peur de rien. C’est avec frénésie et sensibilité que son esprit se délivre enfin devant nous.
Une interprétation remarquable
Au début, le choix d’une mise en scène chambardée de l’espace est déroutant. Finalement, il apparaît bien plus subtil au fil de l’œuvre. Émilie Chevrillon éclaire avec beaucoup de délicatesse ce monologue où elle sombre, se perd avant de renaître. S’il existe parfois quelques longueurs dans le texte, vous les oublierez avec les dix radieuses dernières secondes du spectacle…
Natalie Dessay et Michel Legrand se retrouvent en douceur autour de Between Yesterday & Tomorrow.
Avec cette histoire musicale, ou concept-album, la soprano et le compositeur créent un conte d’une heure.
Un conte à la hauteur de la généalogie de ce disque.
En effet, un projet artistique (livre, film, disque) peut mettre des années à voir le jour. Between Yesterday & Tomorrow aura mis 40 ans !
On a eu le plaisir de découvrir l’album entier en présence de ces deux grands artistes dans un bel hôtel parisien avant de les retrouver au Théâtre des Champs-Elysées le 29 et 30 mars.
Mais tout d’abord, retour à New York, dans les années 1970.
D’hier à Demain… et aujourd’hui
Michel Legrand travaille dans la Grande Pomme. Avec un couple ami, Alan et Marilyn Bergman, ils décident de créer un drame musical : un disque épopée intitulé Life Cycle of a Woman et de le proposer à Barbara Streisand. Michel Legrand s’occupera de la musique et les Bergman des paroles.
La chanteuse est emballée par le projet. Après cinq ans de travail, si quelques chansons ont bien été enregistrées, Barbara ne peut terminer les cessions de studio.
“Elle n’arrivait pas à chanter le premier et le dernier titre, Birth et Last Breath. Il y avait trop d’émotion pour elle dans ces titres, précise Michel Legrand. Alors, je lui ai dit que sans le début et la fin, la vie n’est pas une vie. Et que si elle ne les enregistrait pas, il n’y aurait pas d’album.”
Ce premier chapitre du conte s’arrête donc. Malgré tout, trois de ces chansons enregistrées par Barbara Streisand en 1973, sont éditées par la suite : Between Yesterday & Tomorrow and Can You Tell The Moment? sur l’album Just for the Record (1991) et Mother & Child sur Release Me (2012).
Années 2000, Michel Legrand travaille avec Natalie Dessay. Un jour il lui joue les chansons de Life Cycle of a Woman.
“- Et là elle me dit : “C‘est ça que je veux faire, rien d’autre !” confie Michel Legrand
– Ce qu’il ne dit pas c’est que je l’ai poursuivi tous les mois pendant 5 ans, pour faire ce projet”, ajoute-t-elle.
On sent la cantatrice heureuse de pouvoir présenter son travail, d’avoir réussi cette collaboration. “Michel a beaucoup évolué dans son travail. Et ce que vous allez entendre sont des orchestrations actuelles. Il n’aurait certainement pas fait les mêmes il y a 45 ans.“
Between Yesterday & Tomorrow
Natalie Dessay aime présenter cette œuvre musicale comme un oratorio moderne (un opéra uniquement chanté et sans mise en scène). C’est vrai que cette heure de vie en chansons, toutes liées les unes aux autres, s’en rapproche dans la forme. Mais rien de lyrique dans l’interprétation. Les morceaux sont assez courts et uniquement en anglais.
De Birth à Last Breath, la voix de Natalie Dessay nous transporte dans les méandres, les joies et les péripéties de la vie.
Dès l’entrée de l’orchestre, on reconnait le style Legrand. On replonge alors directement dans les comédies musicales à succès de Jacques Demy. Les orchestrations, même contemporaines, agissent comme une madeleine de Proust. On ressent encore l’atmosphère 70’s.
On a retenu cinq titres qui nous ont particulièrement séduits.
Nos 5 chansons coups de coeur
Where Does the Wind Com From?
“Ma vie est pleine de questions, auxquelles personne n’a de réponse“. On adore le coté cavalcade musicale de ce titre. Elle transmet à merveille la fougue de la jeunesse et son avidité à apprendre. L’énumération de questions, comme les enfants savent en poser à leurs parents, est très bien rendue.
Vous savez, le genre de questions auxquelles vous ne savez donner de réponse simple.
Fairy tales and story books
“Les contes de fées ont des fins heureuses et les enfants y croient“. Une vraie ballade optimiste empreinte de douceur qui réconforte. La composition très simple lâche d’un coup les chevaux pour nous transporter dans un univers féérique.
You and I Plus One
“Maintenant, c’est toi et un de plus, et la vie n’est plus la même” Si vous n’êtes pas amoureux ou amoureuse, cette chanson vous donnera envie de l’être. L’orchestre et Natalie Dessay virevoltent sur un 3 temps tout en mouvement.
The more you Have
Dans toute histoire d’amour et comme dans toute vie, il faut un peu d’amertume pour apprécier les plaisirs de la vie. “The more you have, the more you want […] the more you get: the more you have to loose.”
“Plus vous avez, plus vous en voulez […] le plus vous obtenez : plus vous avez à perdre” Des paroles qui ont plus de 40 ans et qui résument, sur un air jazz et enjoué, un certain état d’esprit de notre société.
Yesterday’s apples
“Les pommes plus douces, les enfants plus jeunes, les étés plus longs...” On ne sait pas si l’on peut être d’accord avec les paroles de cette chanson. Cela restera comme un débat au long court. Mais ce qui est sûr, c’est que ce titre restera comme l’une des plus belles de cet album tant au niveau de la musique que de la mélodie.
C’est cotonneux, gracieux et moelleux.
Il y a une dramaturgie et une musicalité très Broadway dans ce disque. Et la voix de Natalie Dessay nous emporte dans une envolée musicale qu’elle ne pouvait déployer à l’opéra. Un disque qui plaira autant aux amoureux de Michel Legrand, qu’aux amoureux de belles mélodies. C’est ouaté, cosy et réconfortant.
On ne peut que fondre.
Nathalie Dessay, Michel Legrand album Between Yesterday & Tomorrow
(Sony Music)
Musique : Michel Legrand
Chant : Natalie Dessay
Paroles : Alan & Marilyn Bergman